"N'oubliez jamais que ce qu'il y a d'encombrant dans la morale, c'est que c'est toujours la morale des autres." Léo Ferré
Bon nombre de débats dans notre société d’aujourd’hui tourne en fait autour d’un satellite, aux trois quarts invisibles, et que je nommerai: la morale! Curieusement, dans un pays comme la France, dont l’Histoire se perd dans les dédales de l’immoralité, cette vieille lune qui voudrait encore éclairer et guider certains esprits a les couleurs, le goût et l’amertume rance de la «morale»!
Parlons-nous de Pacs puis de mariage entre individus de même sexe, la «morale» s’invite pour essayer de l’interdire…Parlons-nous de procréation médicalement assistée (PMA) ou de gestation pour autrui (GPA), la morale sort son nez de fouine hargneuse pour mettre un terme à toute évolution des lois mais ne fait rien lorsque des parents demandent l’aumône dans la rue et incitent leurs enfants à mendier et voler…Parlons-nous de la sexualité de chacun et du pré-carré de certains hommes en vue, les censeurs utilisent alors les projecteurs de la culpabilité et de la condamnation…Parlons-nous du plus vieux métier du monde, tous les penseurs étroits qui délimitent ce que doit être la dignité humaine viennent vous encombrer de leur morale…Parlons-nous de recherche, de traitements, de techniques, d’amélioration de la vie ou de fin de vie et tous les coucous des commissions d’éthique viennent porter leur ombre sur ce qui ne devrait regarder que chacun de nous…Parlons-nous de durcir les lois vis-à-vis de certains fous qui rêvent de détruire le monde, et là encore on va aligner des références historiques et humaines, en oubliant qu’à l’époque de ces «références» aucune menace n’était comparable à celle que nous subissons actuellement; et la «morale» vient toujours éteindre le simple bon sens.
La morale est donc une arme redoutable qui vient du passé pour interdire le présent et l’avenir. La morale n’est qu’une invocation de la part de ceux qui s’en réfèrent et s’en dédouanent d’ailleurs aisément quand bon leur semble, mais une invocation qui tient lieu de commandement; de plus, le «Faites ce que je vous dis et pas ce que je fais» a toujours été l’adage de ces virus de la société, toujours prêts à gripper la machine et à trôner sur leurs avantages.
Ce qui est navrant dans ce constat, c’est de voir le temps perdu, les vies bousculées, les vies empêchées, les mesures adéquates jamais adoptées et in fine la Liberté de chacun mise à mal par ces «grands prêtres» qui connaissent eux-seuls le vrai du faux et le bien du mal!
Quand on est passé d’un régime monarchique basé sur une société hiérarchisée et sacralisée, dont on pouvait rarement s’échapper pour accéder à une autre dimension sociale, vers une société régie par des Droits et par un Parlement, on pouvait espérer que les premiers républicains et démocrates, saturés par l’univers clos et figé de l’Église, allaient une fois pour toute museler ce monde de peurs et d’interdits qui a fondé la morale judéo-chrétienne depuis plus de 2000 ans! Et bien non, ce poison a continué à se développer et à se retrouver dans différents régimes et dans des esprits aussi divers qu’improbables…Depuis le XIX°s, nombre de personnes de gauche et de socialistes, puis de communistes, baignant dans toutes les variations de leurs idéologies, n’ont jamais fait qu’entretenir la vieille locomotive de la censure et de la morale à deux sous! Idem pour la bourgeoisie, les réactionnaires de tout poil, qui portent un nom bien mal pensé vu leur immobilisme, et aujourd’hui les néo-aristocrates de la finance qui se sont servis et se servent encore de la morale pour contrôler la société.
C’est bien cela en fait qui fait peur, c’est de pouvoir ne dépendre que de soi pour gérer et orienter sa vie, pour décider de ce que l’on veut! Le fait d’avoir un parlement et des représentants élus n’aurait jamais dû impliquer que ces derniers se substituent au peuple dans le domaine de la vie privée pour lui imposer des choix débiles. On comprendra que la Démocratie dans le domaine de l’économie, des affaires, de l’écologie, de toutes les conditions d’hygiène et de sécurité, du respect des droits de chacun, de la propriété, et de la marche d’un État et des relations internationales puisse élaborer des lois et des règlements, on ne le comprend déjà plus lorsqu’il s’agit d’uniformiser des comportements, des choix de vie ou de fin de vie, de proposer tel prototype comme par exemple une seule conception de la famille, etc.
L’amoncellement des lois et des règlements n’est en rien une garantie de liberté; trop de lois tuent la loi…Il semblerait plus judicieux d’écrire dans la Constitution les points essentiels pour le vivre ensemble et le respect de chacun et de limiter tout le reste. Je constate d’ailleurs dans le domaine scientifique que les lois et règlements courent toujours derrière des pratiques que personne n’anticipe jamais, et que cela devient la plupart du temps du rafistolage moral et ringard; et combien de lois amoncelées ne sont ni connues ni souvent mises simplement en pratique!
La diversité de la vie humaine, des parcours de chacun, et toutes les possibilités qui engagent chaque individu sur terre ne peuvent pas se réduire à un point de vue doctrinal ou peu éclairé, malgré les curriculum vitae des experts, car il s’agit d’abord d’un choix individuel non réductible pour moi au bon choix d’une majorité à un moment donné. Ici la Démocratie devrait imposer qu’en la matière la Liberté de chacun ne puisse se figer dans une loi passagère et forcément incomplète. L’État doit permettre l’établissement et l’épanouissement de cette Liberté individuelle et non imaginer de la limiter.
Juste un mot aussi sur les «droits des enfants», qui se résument misérablement au seul droit d’avoir un père et une mère, et qui reviennent toujours comme un boomerang moral pour assommer les vilains corrupteurs incarnés par des «familles» trop modernes construites autour de deux hommes ou de deux femmes. Si on pouvait interroger les êtres en devenir qui ont vocation à s’incarner sur terre, pensez-vous que ces futurs gamins accepteraient de vivre dans le tiers monde, dans des milieux pauvres, dans des lieux en guerre perpétuelle, dans l’extrême dénuement, avec des handicaps ou de multi-handicaps, avec des parents simplement égoïstes et violents, des parents idiots, des parents drogués, des parents emprisonnés, des parents homophobes? Et la liste est si longue…La vie n’a jamais choisi son milieu, mais elle peut être au moins assurée qu’elle est déjà attendue et aimée.
Oui, on aurait dû depuis des lustres pouvoir se marier sans que cela gène personne; oui, on devrait pouvoir fonder une famille et avoir recours à la GPA ou la PMA car c’est un engagement privé qui relève des convictions de chacun, comme les éventuelles indemnités qui relèvent d’accords privés entre adultes consentants; oui, on devrait pouvoir décider de cesser de vivre plutôt que de rester un jouet dans les mains des médecins; oui, on devrait pouvoir louer ou non son corps car personne d’autre n’y a rien à redire; et ainsi de suite…
En fait, la Liberté n’exclue pas la morale, mais elle devrait permettre à chacun dans le respect des droits d’autrui de développer sa propre morale ou si l’on veut sa propre philosophie de vie; il y a donc beaucoup à faire pour permettre aux Démocraties d’évoluer et de faire de chacun et de chacune d’entre nous des Hommes et des Femmes libres et responsables de leur aventure terrestre.
"Je sais aussi, dit Candide, qu’il faut cultiver notre jardin." Candide de Voltaire - tableau d'Henri Le Sidaner |
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire