David HOCKNEY : L'épopée du paysage !


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D Hockney
La peinture anglaise est source de renouveau. La fin du XVIIIème siècle et le début du XIXème siècle ont vu émerger les œuvres du peintre William Turner, impressionniste et moderne avant l’heure, si en avance sur les grands courants picturaux qui agiteront plus tard la société. De même, le XXème siècle a connu Francis Bacon et Lucian Freud qui ont à leur tour profondément marqué leur époque.




Aujourd’hui, alors que la plupart des musées ne célèbrent régulièrement que des artistes morts, ayant rejoint la poussière de la marche de l’Histoire depuis fort longtemps, il faut saluer la « Royal Academy of Arts » à Londres qui organise actuellement une très intéressante exposition sur les paysages du peintre David Hockney qui nous révèle là ses dernières œuvres.

D Hockney

David Hockney a aujourd’hui 74 ans (né le 9 juillet 1937), il est à la fois peintre et photographe et tel un Léonard moderne, il a également étudié la peinture pour retrouver les techniques des maîtres de jadis et démontrer que la « camera oscura » (chambre noire) était utilisée par les grands peintres depuis des siècles. Dans les tableaux qu’il a étudiés, il s’est en effet rendu compte que, par exemple, les rendus sans erreur du plissé des tissus et des effets de lumière ne pouvaient avoir été faits que par ce procédé. A travers son œuvre, on ressent qu’Hockney aime la lumière, il apprécie dit-on Monet et Vermeer, le cinéma, les grands espaces et le plus exemplaire tableau de cette approche, entre luminosité et couleurs, demeure sa réalisation en cinémascope « A bigger Grand Canyon » de plus de 7 mètres, qu’il construit à partir d’un assemblage de 60 toiles (5 rangées de 12 toiles !).
D Hockney "A bigger Grand Canyon"

Il a aimé aussi dans sa jeunesse la transparence de l’eau où nagent les garçons, et la sensualité des corps, qu’il a si bien rendu dans les tableaux qui ont commencé à le rendre populaire, cela correspondait aux années 60/70 où les mentalités et les pratiques se sont enfin délivrées des tabous de la société. Lui qui a connu tous ces bouleversements, et la fin des verrous sexuels, avant la terrible apparition du SIDA dans les années 80, a confessé ceci :


"Vivre pour le sexe, c'est perdre son temps. La seule fois où je me suis laissé aller, c'est pendant mon premier voyage à Los Angelès. Ce fut la seule et unique fois. J'allais dans les bars et je rentrais avec un garçon. Une fois sur deux, il ne m'excitait pas ou c'est lui à qui je ne plaisais pas vraiment. C'est fou comme les gens à Los Angelès aiment collectionner les aventures. En fait, si on a de bons rapports sexuels avec quelqu'un une fois, pourquoi ne pas recommencer ? »

D Hockney

Cette sérénité, ce respect, je les retrouve aussi dans sa peinture  numérique à la fois ludique et majestueuse, simple et foisonnante. Avec ses derniers chefs-d’œuvre, c’est d’abord un choc que l’on reçoit devant la dimension des tableaux qu’il nous offre, presque des fenêtres ou des baies, donnant, grandeur nature ou presque, l’impression au spectateur d’entrer dans ce paysage revisité. Avec Courbet au XIXème siècle on a vu des tableaux gigantesques abandonner les thèmes mythologiques ou historiques pour décrire des scènes de la vie quotidienne. De même, les paysages, jusqu'ici contenus dans des toiles aux dimensions normales, sortent avec David Hockney de ces dimensions habituelles pour s'afficher telles des fresques ou des épopées en forme de poème de la Nature.


D Hockney devant un de ses tableaux

Paul Sandby
John Constable

C’est également un choc devant les couleurs proposées, car cette nature n’est pas la traduction des bocages anglais tels que John Constable ou Paul Sandby ont pu les peindre dans l’Angleterre des XVIIIème et XIXème siècles, ou comme certains peintres actuels les produisent encore, imitant les techniques anciennes et renvoyant en quelque sorte à un âge d’or de la peinture à jamais fixé dans l’inconscient collectif et les références culturelles. Un peintre comme Wess Hempel en donne une illustration éblouissante certes mais très conventionnelle.

Wess Hempel

Chez David Hockney il s’agit tout à la fois d’une réappropriation du réel où infusent des couleurs chaudes et d’une réinterprétation de la Nature qui rappelle l’approche du fauvisme et nous fait aussi souvenir, par exemple, des cadrages et des tonalités employés par Van Gogh ou Gauguin. Les œuvres représentent des bois, des sentiers bordés d’arbres, des collines et des vallons, des près où serpente un chemin vicinal. Nul animal et nul personnage ne viennent déranger cet espace ; c’est nous, les spectateurs, qui sommes invités à emprunter ces voies de la nature et à écouter et découvrir le souffle des couleurs orchestrées par le peintre via sa palette numérique. Chaque élément : fûts d’arbres, feuilles, chemin, ciel, bois mort est délimité dans ses contours et ses tons, et tous ces éléments s’additionnent comme jadis les compositions du Douanier Rousseau. Car il y a de la naïveté et de la simplicité dans l’air : un grand décor qui s’invite comme un paysage d’enfant ou un conte à écrire avec notre propre imaginaire. Ces paysages ne rendent pas triste, je n’y retrouve pas la mélancolie des paysages "grand siècle" et de cette nature parfaite et lointaine à la fois, j’y vois un parcours épanouissant et serein, une richesse de coloris qui expriment l’apaisement et le chemin parcouru.

D Hockney

Chaque époque a eu ses paysages. D’abord simple et imprécis décor de fond de tableau d’une œuvre religieuse : arbre, colline, val, le paysage a petit à petit pris le pas sur ces personnages envahissants, pour lentement s’en débarrasser. Ce qui était négligeable est devenu essentiel : point de focalisation de l’œil où la vie, le réel, ont fini par occulter ces personnages hiératiques figés dans leur histoire sainte. Au fil du temps, le tableau dans le tableau s’affranchit ainsi des vieilles représentations, il s’émancipe : horizon fourmillant, espace de sérénité hors du temps, tourment ou rêve dans l’espace marin, expression de la prospérité ou de l’angoisse, évocation d’un âge d’or quand il abrite des ruines fictives, invitation à s’enivrer de la mythologie qui rapproche les dieux des hommes dans leurs péripéties quotidiennes.
Jacques Daret "Visitation"

Le paysage n’a jamais été un paysage mais une interprétation de la vie, parfois un poème, parfois une souffrance, parfois une élévation philosophique ou mystique, parfois un chant de mort. Il peut exprimer la pérennité, le resourcement, la force de vie, les angoisses devant le temps qui passe, la maladie, la jeunesse qui s’envole, la permanence aussi de la Nature.
D Hockney

Comme les portraits, ou d’autres sujets telles les natures mortes, les paysages revus par les peintres traduisent très clairement leur époque, ils ont en quelque sorte leur codification propre. Mais, à travers la trame des modèles et des techniques, ici très en pointe avec l'utilisation par Hockney du virtuel et du numérique, ces paysages laissent deviner ce qui subjugue le peintre, ce qui l’envahit, ce qui le bouleverse, et ils nous marquent de leur empreinte profonde : sensibilité à fleur de palette qui se cache derrière chaque touche de couleur et chaque agencement du dessin.

Notes :

Royal Acamemy of Arts de Londres :





Lire l’article sur D Hockney : http://fr.wikipedia.org/wiki/David_Hockney

Lire article sur le tableau « A bigger Grand Canyon » : http://nga.gov.au/hockney/

Lire le très bel article consacré à David Hockney : http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/16673/date/1999-01-27/article/david-hockney-hockney-sur-gazon/

Sur le peintre Wess Hempel : http://www.weshempel.com/

Sur le peintre John Constable : http://fr.wikipedia.org/wiki/John_Constable

Sur le Peintre Paul Sandby : http://en.wikipedia.org/wiki/Paul_Sandby

Sur Jacques Daret : http://tetramorphe.blogspot.com/2011/06/jacques-daret-le-retable-de-la-vierge.html

2 commentaires:

  1. Quel belle peinture, subtile, vivante, à la fois réaliste et impressionniste...
    Merci Jean-Louis pour ton article passionnant !

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