Art Moderne et procédés usés...


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L’Art Moderne, en matière de sculpture notamment, a dès le départ « révélé » et « réinventé » des objets manufacturés du quotidien ! Ces objets méprisés, banalisés, personne ne les voyait plus. Si peu considérés dans la production industrielle qui les générait à volonté dès la fin du XIX°s, ils doivent à l’art moderne cette prise de conscience étonnante et fulgurante ; en effet l’art moderne les a sortis de leur contexte « utilitaire » pour en proposer autre chose de plus mystérieux, de plus énigmatique aussi, et de plus « violent », tel un miroir tragique devant nos sociétés ! On se rappelle le célèbre « urinoir » de Duchamp, rebaptisé « Fontaine », qui a osé renvoyer à une activité humaine rarement abordée. Quoi qu’on en pense les objets communs, et non plus seulement les objets nobles et décoratifs que l’on retrouvait dans les natures mortes (vases, lampes, porcelaines diverses etc.), ont pris une nouvelle place dans notre perception du monde et de l’art.


De nombreux « designers » ont également accédé depuis un siècle à un statut équivalent à celui des « artistes » et ils ont été considérés comme des créateurs à part entière et reconnus pour les formes et les styles donnés aux objets et meubles de notre quotidien. Il y a eu un double mouvement presque parallèle, d’abord celui cru et incisif qui renvoie à l’image aliénante et déshumanisée des objets de consommation courante, démultipliés à l’infini, mouvement lancé par ces artistes qui ont fondé l'Art Moderne et le Pop Art, et cette prise en compte du travail de ces concepteurs d’objets usuels, rebaptisés « designers ». L'objet démultiplié, mais repensé, redessiné, a ainsi acquis ses lettres de noblesse, dans ses nouvelles formes plus fluides et stylisées, idem pour les emballages ou contenants, les graphismes, les couleurs et les matières sélectionnées.

 
Mais pour revenir au « ready-made » on peut souligner que ces objets déjà faits sont devenus les symboles de cet art iconoclaste, provocateur, et irrévérencieux que l’on appelle « L’Art Moderne » ! Depuis, on a mille fois proposé des objets divers, on les a également cassés, compilés, écrasés, découpés, barbouillés, ou reproduits à l’infini.

 
Les mêmes procédés ont touché les représentations les plus célèbres, picturales ou sculpturales, dont le David de Michel-Ange, la Vénus de Milo, la Joconde de Léonard de Vinci (Toujours Duchamp avec la « Joconde LHOOQ »). En sculpture, comme en peinture, le rappel ou le renvoi à une œuvre ancienne, universellement reconnue, est devenu un procédé d’intericonicité tout à fait courant dans l’art moderne, et quasiment un jalon incontournable de l’art d’aujourd’hui.

 
On connaissait déjà les « dialogues » que l’on devinait entre tel ou tel tableau de deux peintres contemporains, tels ceux de Picasso et Matisse qui en sont un bel exemple, ou les « dialogues » hors du temps si l’on veut, puisque unissant pour les circonstances deux époques bien différentes, tel Bacon se référant à Vélasquez ! A cela il faut aussi rajouter désormais la reprise d’une image, ou d’un détail de cette image, pour être le support d’une « nouvelle œuvre ».

 
Il ne s’agit d’ailleurs pas forcément d’une « critique », ou d’une « dénonciation », voire d’une « profanation », mais d’une sorte de continuation poétique et d’une nouvelle œuvre en écho, déclinée comme un objet de consommation courante et dans des versions différentes, un peu à la façon des objets dérivés de telle ou telle réalisation (film, livre, musique etc.).

 
On remarquera aussi au passage que l’artiste moderne ne réalise pas tout de ses propres mains, il devient très souvent et uniquement un concepteur qui fait exécuter par des techniciens ou autres plasticiens ses projets de créations, ou alors il compile, reprend et retouche des objets, ou des reproductions déjà existantes !

 
Nombre de ces procédés me semblent devoir beaucoup aux procédés mêmes de la « caricature » : déformation, grossissement, détournement de sens, détail mis en avant, stylisation, animalisation ou végétalisation, utilisation d’un autre contexte ! L’objet, ou l’œuvre au cœur de cette réutilisation, devient un symbole et porte une critique ironique, humoristique, voire agressive, notamment au début de l’art moderne. Mais cette désacralisation de l’œuvre de référence comporte aussi tout simplement une forme d’appropriation, l’art naît de l’art et se métamorphose en se reproduisant sans cesse avec lui, comme dans ce que l’on nomme le « Pop’Art », qui n’est pour moi que la continuation logique de l’art moderne.

 
Cependant, le regain d’intérêt du public pour des œuvres plus « lisibles » et plus confortables en quelque sorte, intellectuellement parlant, donc antérieures à l’art moderne, ou s’inscrivant dans un courant actuel plus traditionnel, peut faire réfléchir sur ces procédés si abondamment utilisés depuis un siècle et qui finissent par lasser, comme toute répétition, et rediffusion peuvent l’être, surtout lorsqu’un soupçon de facilité ou d’opportunisme vient se mêler à ce constat.

 
Le problème est de savoir jusqu’où le public pourra suivre ces jeux d’association, de recomposition, de multiplication, de grossissement, de projection, d’application hors contexte et de décalage permanent, parfois cinglants et parfois totalement gratuits, voire inutiles, dans l’image que les « artistes » donnent de nos sociétés contemporaines. Certes, cette « distance » entre les artisans d’un art toujours en quête de renouveau et le grand public n’est pas nouvelle, ce qui l’est en revanche c’est la distance entre les bases d’une vraie culture et le grand public, d’où un certain repli vers des références considérées comme indépassables.

 
L’épisode récent de l’œuvre de Paul McCarthy, plug vert géant érigé sur la place Vendôme, souligne, en dehors de tout jugement sur l’œuvre elle-même, que l’humour, la distance et les discussions parfois animées mais pacifiques, ou du moins pacifiées depuis quelques décennies, laissent dorénavant la place libre aux vandales, au refus net et catégorique et au retrait pur et simple du sujet litigieux.

 
Toutefois, je constate que l'artiste, reconnu par quelques actions ou réalisations d'éclat, est devenu de nos jours quasiment un homme d'affaires. A côté d'hommes et encore de trop peu de femmes qui ont une démarche sincère et totalement engagée dans leur art, on peut souligner que beaucoup occupent une place d'artistes parce qu'ils savent utiliser certaines ficelles ou facilités, ou dirai-je crédulités, qui accompagnent le snobisme des milieux financiers privés ou publics... Le "roi est nu" mais on n'ose pas toujours le lui dire... Des artistes moins connus, dont l'ego est souvent inversement proportionnel à leur talent, mais qui n'ont pas l’entregent nécessaire, peinent malheureusement à faire reconnaître leur travail et à trouver leurs mécènes.

 
Devant tous ces « messages », touchant au grotesque de notre société et à toute forme de dénonciation acide ou bon enfant des abus de ladite société, le risque est de voir, par un effet boomerang, l’art lui-même déstabilisé et décrédibilisé! Ainsi, peut-être est-il temps à l’Art, comme à nos contemporains, de se « réinventer » une nouvelle fois et de proposer des voies et des « images » plus en adéquation par exemple avec les techniques qui révolutionnent aujourd’hui nos vieilles civilisations et plus en harmonie avec les aspirations de tous, car l’Art ne peut-être un pré-carré élitiste ou prétendu tel coupé du reste du monde.

Au hasard des rues à Marseille
Mis à part le « Street-Art », qui a eu au moins le mérite de faire descendre les couleurs de vie dans des milieux bétonnés et tristes, de donner du relief, de l'humour, des pistes de réflexions et d'ouvrir un nouvel espace autant aux œuvres qu'à leur cadre, je ne vois guère de renouveau en ce moment.



Notes





 

 

1 commentaire:

  1. Un article de réflexion sur l’art moderne qui pose les bonnes questions et que nous devons nous aussi être en mesure de nous poser : Que devient l’art aujourd’hui et notamment l’art pictural ?
    Depuis la rupture du début du siècle dernier, de nombreux mouvements ont abandonné les canons traditionnels de la technique picturale, cubisme, dadaïsme, surréalisme, abstraction, expressionnisme ….Mais comme tu le précises, c’est déjà avec Marcel Duchamp (exposition de l’urinoir ou de la roue de bicyclette sur un tabouret) qu’on débuté les réalisations les plus extrêmes et les plus farfelues de la « créativité » multiforme.
    Depuis les années 50/60 on parle d’art contemporain et d’arts plastiques (et non plus de peintures ou sculptures) (mais laissons de côté les coupures chronologiques ou même spatiales). Cet art se revendique en rupture avec l’art traditionnel et la création individuelle. L’originalité recherchée par Warhol et ses boites de soupe, ont donné l’idée à des dizaines d’artistes ou se disant tels, de fournir des multitudes d’objets détournés, isolés de leur contexte, parfois même vulgaire et présentés comme des « œuvres d’art ».
    C’est alors le triomphe de l’objet, peint, sculpté, de l’objet dérisoire ou utile, avec la volonté de non transformation du réel, du refus de l’esthétique, pour mieux dénoncer notre riche société de consommation. Il y a prioritairement une volonté de contestation, de provocation mais in fine, peut encore parler d’art ?

    L’art actuel est sans doute bien la manifestation d’une vision de monde, d’une certaine « culture », de la société, dénuée de sensibilité et qui laisse de côté tous ceux qui n’entrent pas dans le rang. Et la valeur de l’œuvre est créée en fait par le marché de l’art et les collectionneurs de tout bord. Quand le pouvoir de la finance s’empare de l’économique, du politique, pourquoi ne s’emparerait-il pas de l’art ? Ce dernier est aux mains des spéculateurs. L’art « Objet » devient « leur objet ». L’intérêt c’est le rendement. Tout le monde peut être un artiste, l’essentiel c’est l’originalité et l’intérêt des collectionneurs qui font monter la côte de celui qui « s’exprime ».
    Ainsi l’homme n’est plus au centre de l’œuvre puisqu’il est dépouillé au profit de l’objet, sans maitrise technique et qu’il y a refus de communiquer une émotion, refus de la sensibilité, et refus de toute esthétique bien évidemment. Par contre il y a bien conceptualisation et donc théorie, sur ce genre de forme artistique qui donne sans doute plus de charges aux mots qu’à l’œuvre elle-même. Le plasticien doit expliquer, théoriser son œuvre et l’intellect prend le dessus sur le geste créatif. Et pire l’art conceptuel peut aller encore plus loin et ne devenir que purement théorique sans ne rien réaliser du tout (il n’y a plus de matérialisation de l’œuvre).

    Tu poses les bonnes questions Jean Louis, à savoir si le public est prêt à accepter ces « artistes » et jusqu’où et qu’elle est la distance entre les bases d’une vraie culture et le grand public ?
    Je crois savoir que la public qui fréquente les musées n’est pas le même que celui des expositions de genre Biennales ou FIAC. Ces dernières restent le thermomètre de l’art contemporain.
    Les critiques et journalistes d’art sont plus nombreux que les historiens d’art. Il est vrai que ces derniers ne peuvent appréhender notre histoire qu’avec le recul nécessaire du temps. Et c’est le temps qui déterminera si une œuvre survivra et entrera dans le patrimoine culturel même si elle a été contestée.
    Comptons par exemple que les colonnes du Palais Royal de Buren font parties aujourd’hui de notre patrimoine. Mais ne préjugeons pas qu’une œuvre résistera au temps même si elle a été créée dans les mêmes conditions que celle de Boronali et son « coucher de soleil sur l’Adriatique » lors de l’exposition de 1910. On pourrait alors parler d’une imposture …
    MFZ

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