Les créations autour d’œuvres musicales, comme une symphonie ou un concerto, se font rares de nos jours, et ce qui l’est encore plus c’est leur pénétration au cœur du grand public. Il en va des œuvres «classiques» en musique comme de la poésie, on finit par ne parler que d’œuvres anciennes et de compositeurs morts!
Certes, quelques exemples sur les soixante dernières années semblent à peine contredire ce constat: Léonard Bernstein a cumulé les dons de chef d’orchestre et de compositeur adulé du public, avec notamment sa comédie musicale «West Side Story», Michael Nyman également s’est fait connaître par ses musiques de film.
F Ziem - Istanbul |
D’autres chefs sont restés plus méconnus des amateurs de musique au niveau de leurs créations, comme Furtwängler ou Donanyi, voire même parfois boudés de part leur choix musical trop avant-gardiste, tel Boulez. Certains compositeurs encore, mais minoritaires, ont eu la chance de faire parler d’eux de leur vivant, comme John Cage en son temps ou le compositeur Arvo Pärt aujourd’hui. Donc parler d’une symphonie contemporaine devient malheureusement quelque chose d’exceptionnel…
Fazil Say, que chacun connait au moins comme un pianiste inspiré dans les œuvres de Bach, Mozart, Beethoven, Gershwin et Stravinsky, a également le don de la composition. Il a écrit plusieurs œuvres depuis quelques années, qui sont, constatons le, restées plutôt confidentielles. Avec sa maison de disque, Naïve, dont il faut saluer les magnifiques éditions notamment dans le domaine de la musique baroque, il vient de sortir un coffret (CD + DVD) consacré à une de ses dernières œuvres «la symphonie d’Istanbul» (1). Il faudra cependant attendre encore un peu pour découvrir en CD une de ses autres créations récentes la «symphonie Mésopotamie»(2).
La mosquée bleue |
L’ironie de l’histoire c’est qu’après avoir célébré «en musique» Istanbul, Fazil Say ne se doutait pas que des islamistes allaient le traduire en justice pour de curieuses raisons de blasphèmes car il aurait insulté «en parole» les valeurs religieuses d'une partie de la population stambouliote via Twitter et sur des plateaux de télévision!
Pourtant, sa musique rend hommage à une conception d’Istanbul toute empreinte de nostalgie, de rêve personnel et de bonheur perdu! Istanbul devient le prototype de la cité libre, généreuse et imaginaire! Mais Istanbul a laissé trivialement la place aujourd’hui à une mégalopole de 15 millions d’habitants empêtrée dans des problèmes politico-économiques, et des tensions religieuses (parti AKP) en contradiction avec les valeurs laïques qui ont prévalu lors de la fondation de la république turque par Mustapha Kemal en 1923.
Ste Sophie |
Rien n’est plus insupportable que de voir sa liberté de parole et d’expression devenir une peau de chagrin, mais nul n’est prophète en son pays non plus! Une des meilleures façons de soutenir ce pianiste compositeur est de parler de lui et de faire connaître et défendre ses œuvres.
La symphonie d’Istanbul se compose de 7 passages évocateurs :
1. La mer de Marmara
2. Les ordres religieux
3. La mosquée bleue
4. Les jeunes femmes à bord du ferry pour les îles des princes
5. Les voyageurs en Anatolie au départ de la gare de chemin de fer «Haydar Pacha»
6. La nuit orientale
7. Le finale
Une symphonie classique se construit autour de 4 mouvements environ, parfois plus, mais qui n’ont pas en général de description aussi détaillée que les 7 mouvements de la symphonie d’Istanbul, leurs étiquettes s’arrêtant aux dénominations traditionnelles, par exemple, «allegro», «andante» et la façon de les exécuter «allegro energico e passionato».
F Ziem - Istanbul |
Avec la symphonie Istanbul nous assistons à un diaporama commenté, chaque photographie porte en elle son rêve suranné et sa poésie intrinsèque. On imagine ce rêve d’orientaliste : Istanbul porte de l’Orient, couleurs et parfums se mêlant, comme se répondent les images de Sainte Sophie et de la mosquée bleue, et le mariage infini du miroir de la mer et des terres turques. On a aussi par deux fois une description qui est digne d’une nouvelle, d’un tableau ou d’une affiche belle-époque.
A noter que le deuxième mouvement «les ordres religieux» apparaît comme menaçant et étrangement prémonitoire si l’on pense aux ennuis que Fazil Say connait depuis avec certains esprits chagrins. Cet épisode évoque aussi des pages dignes de Chostakovitch avec leur martèlement obsédant et la libération qu’elles annoncent.
Fazil Say au piano |
L’influence du cinéma me semble aussi déterminante; la structure de la symphonie renvoie, à celle d’un film et de ses différentes séquences, elle mélange «adagio», «valse», rappel folklorique et réminiscence comme le découpage cinématographique le permettrait également.
Les instruments traditionnels turcs sont aussi à l’honneur avec le ney (longue flûte), le qanûn (cithare) et le tambour, cela renforce le mystère et le goût de cet orient impalpable et ancestral. Ils apportent aussi une simplicité qui amplifie encore le côté nostalgique et éphémère de cet Istanbul de légende.
F Ziem - Istanbul |
La musique anime l’espace et porte à imaginer je ne sais quelle danse sur ces moments d’éternité que représentent ces sept mouvements symphoniques. Un chorégraphe serait bien inspiré d’utiliser cette merveilleuse matière pour en brosser sept tableaux! Ce serait en quelque sorte une «danse des sept voiles»(3) pour finir par approcher dans sa nudité lumineuse ce rêve mythique qui n’est autre que celui de l’innocence et de la liberté.
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Oeuvres citées dans ce billet
Notes
(2) Sur la symphonie Mésopotamie
(3) in l’opéra de Richard Strauss « Salomé »
Biographie de F Say et écoute de l’album : site des éditions "Naïve"
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