L’arbre et la fleur sont les compagnons de toujours de l’homme. L’arbre depuis la nuit des temps protège, nourrit, soigne, limite un espace! Il est lui-même un symbole de majesté et du lien de la terre et de l’air, de l’espace visible et de l’invisible, puisque ne l’oublions pas il a quasiment autant de racines que de branches. Il est aussi un élément de repère géographique, un poste d'observation et au fil du temps il est devenu un symbole vivant d’agrément, de paix, de richesse. La fleur et les plantes ont également apporté aux hommes leur beauté, leurs vertus médicinales, leur protection et leur bénédiction pourrait-on dire vu tout ce que l’Homme a su en apprendre, en sélectionner et en cultiver.
Il n’est donc pas si étonnant de constater que les plus grands mythes de l’humanité ont un lien direct avec la Nature et l'Arbre: c’est «L’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal» dans le jardin d’Eden dont parle la Bible, c’est la célèbre guerre de Troie dont l’origine viendrait de «la pomme de la discorde» destinée à la plus belle des déesses, c’est le jardin des Hespérides et ses «pommes d’or» dans les travaux d’Hercule, c’est encore «le Buisson Ardent» de la Bible et dans le Nouveau Testament, «la Croix», arbre de mort créé par l’Homme. Selon la légende, l'origine du bois de la croix proviendrait d'une graine de l'arbre de vie mise dans la bouche d'Adam par son fils, qui aurait ainsi germé pour donner naissance à l'arbre dans lequel on aurait découpé les éléments de la Croix du Christ (patibulum et stiges). Soulignons également le lien dans la culture celtique, ou astrologie druidique, entre l'Homme et l'Arbre puisqu'on associe un arbre particulier au séquençage de 21 périodes annuelles.
C'est autour des arbres et des fleurs que se nouent les plus grands thèmes de l'humanité, celui de la mort comme de la solitude, mais aussi celui de l'amour et de l'espérance. Le Cantique des cantiques fait référence à plus d'une quinzaine de plantes et d'arbres, et c'est le premier grand hymne à l'amour! Le Paradis terrestre est un jardin tout comme l'image en miroir du Paradis pour les élus. Et c'est encore dans un jardin, sorte de jardin intermédiaire entre le paradis perdu et le paradis à venir, que Jésus exprime son inquiétude et sa tristesse : le jardin de Gethsémani ou jardin des oliviers.
La Dame à la Licorne, oeuvre allégorique sur le thème des cinq sens, clôt le Moyen-âge dans des représentations d'arbres et de fleurs. Le cadre représente quatre arbres symboliques dans cinq des six panneaux (pin-éternité, oranger-félicité, houx-fidélité et chêne-résistance et force). Le Triptyque évocateur du jardin des délices de Jérôme Bosch exprime lui toute l'exubérance d'un paradis d'amour et de libertés où l'on finit par devenir fruit et fleur... Quelques siècles plus tard le grand photographe Mapplethorpe ne suggérera-t-il pas exactement la même chose à travers ses photographies de fleurs?
Dans la kabbale, l'arbre séphirotique est un arbre symbolique, image de l'univers et de l'Homme où chaque branche, si l'on veut, est une voie de sagesse. Et dans bien d'autres sociétés et civilisations, l'Arbre a été également vénéré comme représentation du monde et du cosmos :
• C'est le sycomore en Egypte, dont le bois était d'ailleurs largement utilisé tous les jours.
• C'est l'arbre sacré en Mésopotamie: "l'arbre sacré était un symbole de divinités, de fertilité, accompagnant aussi bien Ea, le dieu des sources, que Shamash, le soleil bienfaisant (...)" Nell Perrot les représentations de l'arbre sacré sur les monuments de Mésopotamie et de l'Elam.
• C'est le figuier cosmique, "Asvattha" en Inde*, où Bouddha atteignit l'Eveil sous son ombre. L'histoire du Bouddha est d'ailleurs jalonnée d'arbres aux différentes étapes de sa vie; cependant, le pipal* ou figuier des pagodes reste le plus important. A noter que le bouddhisme tibétain utilise cinq bois aromatiques dans ses rituels: genévrier, rhododendron, tamarin, margousier, et pin.
• C'est dans la mythologie nordique "Yggdrasil", un if arbre monde.
• Et c'est l'immense "Irminsul", arbre sacré et arbre monde des Saxons, sans doute un frêne, que Charlemagne fit abattre en 772 pour asseoir son autorité et celle du christianisme.
On vient d'apprendre qu'une des découvertes majeures de l'archéologie gauloise a été faite à Pas-en-Artois en 2010. On a en effet retrouvé 950 grammes d'or en bijoux divers des l'époque des Atrébates (peuple Celte de la Gaule Belgique) au pied d'un talus. D'après le journaliste relatant cette découverte cet endroit "pourrait être un ancien bois sacré où les parures des chefs étaient pendues aux arbres en offrande aux dieux." (In La Voix du Nord du 3-1-2015)
Pour revenir sur la Mésopotamie, il faut citer la grande légende de "Gilgamesh", oeuvre clef et passionnante à découvrir, écrite environ deux mille ans avant JC! Cette épopée mentionne, après différentes étapes où le héros recherche l'immortalité, le passage concernant, dans le "jardin des gemmes", les arbres qui étaient porteurs de pierres précieuses:
"Devant lui s'étendait le bosquet des dieux, région enchantée où arbres, fruits et fleurs étaient des pierres précieuses. Les fruits étaient en cornaline, les feuillages en lazulite. Les cèdres avaient une fondation d'albâtre. Il vit des palmiers avec des dattes en améthyste, le pin maritime chargé d'émeraudes. Les topazes foisonnaient comme ronces et épines. Le caroubier était garni de turquoises, d'agates et d'obsidiennes."
On y trouve déjà une idée d'une forme de paradis, et on retrouvera bien plus tard cette idée dans le texte de l'Apocalypse où la Jérusalem céleste sera construite en pierres précieuses! Dans les aventures de Gilgamesh, ce sera toutefois une plante épineuse assurant l'immortalité, et se trouvant au fond des mers, que Le héros réussit à ramener, mais qu'un serpent (tiens!) lui ravira en fin de compte, car l'immortalité n'est donnée sur terre ni aux hommes ni aux surhommes! Le livre de Gilgamesh est un précieux témoignage, notamment sur l'origine des sources réutilisées dans les différents livres de la Bible comme dans la mythologie grecque. Le jardin des Hespérides d'ailleurs rappelle le jardin des gemmes et il est amusant de noter que les serpents ne sont jamais loin de ces jardins et s'y retrouvent avec des rôles divers.
De toutes les légendes sacrées, il faut mettre à part la Bible qui donne une double vision différente de l'Arbre, à la fois négative, ce qui est aussi rare qu'étonnant, et positive dans la Genèse et les livres ultérieurs. En effet, l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal est curieusement un arbre interdit, alors qu'en toute logique il aurait du servir à nourrir l'intelligence humaine, et il fait perdre en plus l'immortalité à Adam et Eve! La tradition populaire a détourné également le sens de cette "pomme" pour en faire un acte sexuel non autorisé, ce qui est tout aussi surprenant et pour tout dire débile, mais ceci souligne évidemment la grande frustration et le malaise que le christianisme a introduit dans les esprits des hommes et des femmes autour de la sexualité. Toutefois, ces incohérences sont peut être simplement le résultat d'emprunts plus anciens mal liés entre eux et mal interprétés.
Le Buisson Ardent, en revanche, montre positivement la juxtaposition d'une image solaire et d'un buisson ou petit arbre servant à proposer une image naturelle et figurative de l'idée de Dieu devant Moïse. L'Arbre rayonnant annonce la fin de l'esclavage et un monde nouveau, c'est un Arbre de Liberté. L'Arche d'Alliance, ou coffret recueillant par la suite les Tables de la Loi inscrites dans la pierre et données à Moïse, sera elle précisément en bois d'acacia et recouverte d'or.
Sans doute pourrait-on trouver encore bien d'autres références passées ou encore présentes à travers toutes les sociétés humaines qui ont révéré l'Arbre et la Nature et qui savaient, ou savent pour le peu qu'il en reste, prélever avec modération les fruits de cette Nature et la révérer, et non pas la mépriser, la saccager et la détruire comme aujourd'hui.
L'image mythique des arbres et des plantes a occupé l'Homme depuis toujours et se connote d'une obsession de beauté, à la fois convoitise et souhait d'appropriation de leurs qualités et vertus, mais aussi d'une idée d'épanouissement, tout comme elle peut souligner la richesse intérieure et extérieure, et la fascination sans borne, par exemple à travers l'histoire des parfums et des plantes rares : tulipes et orchidées notamment.
L'Arbre est une forme d'orant naturel, un corps et des bras en forme de branches tournées vers le ciel; il réussit la jonction quasi mystique entre l'univers et la terre, et porte les oiseaux comme des messagers précieux, tout en faisant parler le vent à travers son feuillage.
L'Arbre est ce qui a permis à l'Homme de créer et nourrir son feu, de se chauffer et de cuire ses aliments, de construire sa maison, ses outils, ses objets, ses meubles, et ses moyens de transport (bateau, roue, char...). Quelque part, il est symboliquement le socle et le soutien des civilisations et l'on comprend la richesse des représentations qui lui sont attachées et des histoires que les Hommes n'ont cessé d'inventer et de rêver sous ses branches!
Pour le plaisir, je vais conclure sur ce merveilleux passage littéraire, écrit par un homme qui a su instinctivement découvrir la beauté, la grandeur et la vie infinie du monde:
"C'est juste au virage, dans l'épingle à cheveux, au bord de la route. Il y a là un hêtre; je suis bien persuadé qu'il n'en existe pas un de plus beau: c'est l'Apollon-citharède des hêtres. (...) Le plus extraordinaire est qu'il puisse être si beau et rester simple. (...) il n'était pas vraiment un arbre. Les forêts, assises sur les gradins des montagnes, finissaient par le regarder en silence. Il crépitait comme un brasier; il dansait comme seuls savent danser les êtres surnaturels, en multipliant son corps autour de son immobilité; il ondulait autour de lui-même dans un entortillement d'écharpes, si frémissant, si mordoré, si inlassablement repétri par l'ivresse de son corps qu'on ne pouvait plus savoir s'il était enraciné par l'encramponnement de prodigieuses racines ou par la vitesse miraculeuse de la pointe de toupie sur laquelle reposent les dieux." Jean Giono, Un roi sans divertissement
Jean-Louis Garac - Janvier 2015
Notes :
Un bel hommage aux arbres, symbole de la vie, poumon de notre Gaïa, à l'Arbre Dieu qui est à la fois unité et énergie. Ce thème résonne en moi comme un tambour chamanique.
RépondreSupprimerCe n'est pas facile de faire vivre en quelques pages l'histoire des grands mythes de l'humanité en lien avec les arbres, eux qui ont tant de choses à nous apprendre.
L'approche mystique du mystère de l'arbre à travers la symbolique des civilisations est un sujet profond, dense, fascinant et qui appelle à la méditation.
Sans une écriture d'une belle simplicité, limpide et transparente, la mission serait presque impossible. Mais c'est un peu comme si les arbres t'avaient initié à cette transparente Connaissance, à une vérité que, dans ta grande générosité, tu voudrais nous faire goûter.
Nous nous promenons dans le jardin d’Éden, nous souffrons dans celui de Gethsémani,nous sommes prêts à nous assoir sous le figuier pour atteindre l’Éveil et nous côtoyons la Dame à la Licorne comme dans un songe d'une nuit d'été...
Ton texte est d'une richesse historique certaine, très documenté, toujours illustré d’œuvres d'art comme tu sais si bien les faire découvrir à tes lecteurs .
C'est un vrai régal de te lire car tu nous enrichis de tes connaissances.J'aime ta sensibilité et des prises de position distillées avec conviction, et que je rejoins tout à fait.
Comment sommes nous arrivés à piller la planète, à profaner la vie? car "piller c'est profaner"comme le crie Pierre Rabhi.
Merci pour la sélection du très beau passage littéraire de Giono que tu as choisi pour clore ton texte.
Mais également, ce texte incite le lecteur à aller plus loin encore en suivant toutes les clés qui lui sont données, de l'arbre séphirotique de la Kabbale à l'épopée de Gilgamesh.