Coup double, entre musique anglaise et poésie persane


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Si la culture ne s’étale pas comme de la confiture sur une tartine, bien que certaines personnes aient l’art de nous la « tartiner » à plaisir, elle offre parfois la possibilité de faire coup double ! C’est à dire de toucher deux domaines a priori différents comme la musique et la poésie ou la littérature et la peinture, « La course à l’abîme » de Dominique Fernandez, roman basé sur la vie du Caravage, en reste un bon exemple.

Aujourd’hui mon coup de cœur est justement un coup double, je vous propose en effet de découvrir un compositeur anglais, peu connu en France, et un poète persan, peu être à peine plus connu, à travers une œuvre originale et attrayante !
L’un s’appelle Sir Granville Bantock (né et mort à Londres, 1868-1946) compositeur et auteur de nombreux poèmes symphoniques et lyriques, l’autre Omar Khayam * (né et mort en Perse, 1048-1131- ?) poète et mathématicien, auteur des fameux « rubaïyat » ou quatrains, c’est à dire de poèmes condensés en quatre vers. La littérature connaissait déjà ces formes d’expressions « miniaturisées » avec les épigrammes ou les haïku japonais.
Sir Granville Bantock était un homme curieux de tout et d’une grande richesse d’inspiration. Il faisait partie de ces compositeurs qui à la fin du XIX°siècle et début du XX° siècle donnèrent des œuvres avec des orchestrations monumentales à la façon de Richard Strauss ou de Richard Wagner. Il possédait en outre un éclectisme digne de Pierre Loti, où légendes, goût de l’orient et de l’antiquité se mêlaient allègrement pour produire des œuvres originales et chatoyantes, assurant un vrai dépaysement.

Mais les critiques de l’époque, et ceux qui suivirent, reprochèrent à Bantock, comme à tous les compositeurs de sa veine, de n’être pas assez innovant… Nous savons, nous, jusqu’où l’innovation a pu aller, et tout compte fait aujourd’hui on redécouvre pour notre plus grand plaisir ces compositeurs à l’imagination riche et audacieuse. Il s’inscrit notamment dans la lignée des grands compositeurs qui plus tard donneront le meilleur d’eux-mêmes dans les productions cinématographiques.

Il faut saluer à ce niveau le travail de recherche et de restauration autour de son œuvre accompli par le chef d’orchestre anglais Vernon Handley. Ainsi, vous trouverez dans la maison d’édition Hypérion de remarquables œuvres orchestrales dirigés par ce chef d’orchestre : « Hebridean symphony », « Fifine at the fair », « Sapphô » etc. Et chez Chandos les fameux chants d’Omar Khayyâm qui nous intéressent aujourd’hui.
Il s’agit en fait d’un oratorio que l’on pourrait qualifier de profane (comme certaines œuvres écrites par Haydn, Schumann ou Orff) d’environ 2h50 mn, dont le livret est basé sur les quatrains d’Omar Khayam qui fut traduit en anglais par Edward Fitzgerald en 1859. Ce livre connut d’ailleurs un grand succès en Angleterre à la fin du XIX° siècle.

Solistes et Chœurs, soutenus par une musique nuancée d’une grande délicatesse avec des envolées romantiques, le tout ayant une facture très moderne, chantent les « rubaïyat » d’Omar Khayam. Il est toujours difficile de faire des rapprochements avec tel ou tel compositeur mais je trouve qu’il peut rappeler l’univers sibelien.

Quant au poète persan, Omar Khayam, je considère qu’il est d’une grande modernité dans sa pensée comme dans son expression même avec l’utilisation d’une structure poétique concise. Certes, il a donné lieu à des interprétations très différentes, mais on ne prête qu’aux riches ! Si Bantock n’a pu que se fonder sur la traduction à la mode à son époque, celle d’Edward Fitzgerald, nous avons aujourd’hui plus de recul, à travers les études de ses écrits et les recensions réalisées, pour approcher de façon plus juste la pensée de ce grand poète arabe.
Mathématicien, astronome et poète, il apparaît comme un homme libre qui refuse le joug de la religion et le joug politique ! Dans un monde qui pour lui n’a pas grand sens il propose de vivre le moment présent de la meilleure façon : glorifiant le vin, la poésie et l’amour ! Ses chants sont mélancoliques mais il ne s’apitoie pas sur son sort, il reste de façon lucide un homme de sciences, conscient de ses limites, qui utilise les attraits de la poésie pour délivrer sa vision d’un univers qui n’a rien à faire des agitations humaines.

Les « rubaïyat » d’Omar Khayam, offrent ainsi, dans une économie de vers et une concision de formule mathématique, l’expression de la terrible fragilité humaine devant l’éternité ! Cependant, il ne s’agit pas que d’impressions ou d’images bien trouvées ; ces quatrains nous acheminent vers une véritable réflexion philosophique.

Voici 4 extraits tirés du très beau livre « Les chants d’Omar Khayam », Sadeg Hedayat, traduction de Farzaneh et Malaplate, aux éditions Corti, 1993 :

« Ces illustres savants, ces maîtres, ces dervis,
« Ces lumières au rang des tout premiers admis
« N’ont jamais traversé la nuit, atteint le jour :
« Ils n’ont que fabulé, puis se sont endormis. »

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« O juge, plus que toi je suis consciencieux,
« Tout ivre que je sois, le plus sage des deux.
« Tu bois le sang humain, moi celui de la vigne…
« Sois juste et dis lequel est le plus dangereux »

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« Chaque atome trouvé sur le bord du chemin
« Fut soleil rayonnant, étoile du matin.
« Brosse donc sur ta manche humblement la poussière :
« Un beau visage est là, caché dans chaque grain. »

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« De croire à blasphémer qu’y a-t-il ? Un soupir.
« Entre la certitude et le doute ? Un soupir.
« Ce précieux soupir, tires en jouissance,
« Car notre vie aussi s’achève en un soupir. »

Cité dans ce billet :


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Notes : on trouve les orthographes suivantes : Omar Khayyâm ou Omar Khayam coffret de 3 cd chez CHANDOS, 2008 : Bantock – Omar Khayyâm- direction Vernon HANDLEY (à partir de 21 euros selon les sites marchands) Pour sa discographie voir le site de la Bantock society : http://www.musicweb.uk.net/bantock/- « Les chants d’Omar Khayam », Sadeg Hedayat, traduction de Farzaneh et Malaplate, éditions Corti, 1993, 15 euros.

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