Une invitation à découvrir Eric Jourdan, écrivain contemporain.
Ecrire un article sur Eric Jourdan n’est pas chose facile ! Il est à mon sens un grand écrivain de la littérature gay, mais encore trop peu connu chez nous. Par exemple, dans deux des trois grandes librairies niçoises, et je n’ai pas pu me rendre dans la troisième, on ne trouve aucun de ses livres en rayon, il faut passer commande ! Comme tout le monde n’a pas la possibilité d’aller « Aux mots à la bouche » à Paris où ailleurs, afin de feuilleter en main ces livres et de découvrir un peu de la magie de ces textes, il ne reste guère que les infos « coups de cœur entre ami(e)s » ou les commandes via des sites spécialisés du net pour découvrir Eric Jourdan…
Peu connu donc du grand public, cet écrivain a déjà néanmoins à son actif une belle liste d’ouvrages avec une douzaine de romans audacieux où l’homosexualité à toute sa place ! Mais on ne sait pas grand chose sur sa biographie, en conséquence presque rien à se mettre sous la plume pour esquisser un portrait de cet auteur…Il reste un romancier mystérieux, à peine découvre-t-on, en deux lignes, qu’il est le fils adoptif de Julien Green et qu’il a écrit à 17 ans, en 1955, son premier roman : « Les mauvais anges », lequel a été interdit à cette époque car jugé trop sulfureux ; il faudra attendre tout de même une trentaine d’années avant de le voir publier librement !
Ce grand romancier doit donc avoir 70 ans ou presque ; on sait qu’il a du travailler avec son père adoptif sur les dialogues d’un film « La Dame de pique », de Léonard Keigel, en 1965, film qui semble être bien oublié aujourd’hui, et puis c’est tout ! Il a aussi écrit une pièce de théâtre "Le jour de gloire est arrivé" avec Franz-Olivier Giesbert au début des années 2000.
Où est-il né ? Dans quel milieu ? Qu’a-t-il exercé comme profession ? Quelle a été sa vie ? Tout ceci échappe au grand public ! Mais, si l’écrivain reste en retrait par rapport à son œuvre, c’est peut-être aussi un bien : n’y a-t-il pas trop d’auteurs qui finissent par ne plus être lu tellement les introductions à leurs œuvres, les renvois, les notes sont surabondantes et perturbent les lecteurs trop curieux que nous sommes.
Avec Eric Jourdan, nous n’avons que son texte, mais quel texte : un long déroulement de mots choisis avec précision, des phrases aussi sensuelles que poétiques !
« Ecarte-toi, l’amour est un briseur d’images ! Les rêves de ton corps explosent dans ma chair. Qu’espères-tu ma nuit t’a déjà tout offert. Mon cœur, ma peau, mon sang, mon sexe et mon visage. » (Les mauvais anges, p.56)
J’apprécie aussi l’emploi des images qui font de lui un bien grand peintre des atmosphères et des sentiments…
« Donc je n’abandonnerais pas mon cousin aux torpeurs d’une province maudite, comme elles le sont l’été avec leurs maisons aux volets clos, leurs églises noires, leur immobilité de nécropoles. » (Les mauvais anges, p.96)
« La barrière de l’orgueil physique renversée, une autre barricade plus secrète se dressait en nous-mêmes : elle laissait passer les soupirs, les murmures de volupté, les cris du plaisir, mais arrêtait les cris d’amour. » (Les mauvais anges, p.41)
Ces personnages sont complexes, pervers, ayant soif de vie, de mort et de sexe, et pouvant peut-être rappeler certains voyous à la Genet ! Ce sont en fait des personnages hors norme, sans doute amoraux, dans le sens où ils échappent à la morale de notre quotidien ! Ils sont entiers tels des diamants bruts, pris dans un instinct, une force de vivre et de sexe, qui va aussi jusqu’à les détruire !
« Michael perdait la tête, le désir était rentré en lui comme un coin qu’on enfonce sous l’écorce pour faire éclater le bois » (Aux Gémonies, p.151)
C’est souvent une double histoire qui est racontée dans le sens où il y a deux personnages principaux et cette dualité se retrouve de même à l’intérieur des personnages eux-mêmes : l’ombre et la lumière, l’avouable et l’inavouable, le désir de parler celui de conserver en soi ses sentiments etc. De là aussi les étincelles, tensions, jalousies, amours exacerbés qu’il a su dépeindre avec beaucoup de finesse.
« Et puis ce garçon est double. L’un a détruit l’autre... Didier souriait. ’’Tiens Nermont n’était pas bête !’’ » (Le garçon de joie, p.220)
On trouve aussi des portraits dignes des romans balzaciens, dont il dresse avec délectation les caractères aux ressorts psychologiques noirs et torturés et tragiquement humains. C’est notamment le cas de la vieille bonne dans « Le garçon de joie » et des autres personnages de ce roman passionnant, scabreux et aussi scandaleux qu’attachant.
« (...) on ne frôlait plus une vieille cuisinière vêtue de noir, mais une Cassandre que le destin lâchait dans la ville, hantée par de fausses presciences, un peu folle. » p.160
La mort est également un personnage incontournable : puisque le plaisir, le désir, le vouloir vivre sont si forts, tout ceci vient se heurter violemment aux murs du triste quotidien et d’une société hostile, surtout lorsqu’il s’agit de liberté sexuelle et d’une recherche de soi.
« Son ardeur n’avait rien à voir avec des prouesses physiques, c’était l’inassouvissement de son corps et son impuissance à dévorer son âme et l’âme de celui qu’il aimait, et là seulement il devinait qu’il dépassait des limites. Mais au diable les limites si l’illumination avait lieu et si l’intérieur de son corps explosait. Il était prêt à tous les abandons. » (Révolte, p.246)
Le plaisir qu’Eric Jourdan procure est indicible, il faut le lire et goûter à cette volupté des mots et à ces descriptions charnelles ; son monde et son approche sont fascinants mais ce monde reste lui aussi secret et parfois difficile à situer pour certains romans. Comme vous l’avez compris son univers est celui de personnages exceptionnels, tourmentés, fiévreux, implacables dans la recherche de leur liberté et solitaires aussi.
« J’avais besoin de remontrances et d’affection, de sentir que je n’étais pas le seul maître de tout foutre en l’air, de canaliser la révolte souterraine qui ne me laissait accepter aucune autorité, aucun dieu, aucun devoir, et de suivre aveuglément mes instincts qui jusqu’ici se bornaient à rassasier mon corps des gourmandises de l’amour. » (Le songe d’Alcibiade, p.100)
Eric Jourdan est un écrivain puissant et fascinant au même titre que peuvent l’être Dominique Fernandez ou Jean Genet ! Si ces quelques lignes on pu vous donner envie de le lire j’en serai très heureux car il me semble injustement laissé de côté alors qu’il devrait avoir une place de premier rang dans le Parnasse Littéraire Gay. C’est pourquoi je vous invite à le découvrir sans plus tarder pour qu’il puisse prendre place dans vos coeurs avec tous ceux qui, en littérature, ont osé être eux-mêmes afin de mieux nous dépeindre…
Bibliographie : Les Mauvais Anges, éditions de la Musardine, 2001. Les Penchants obscurs, Plon, 1958. Charité, éditions de la Différence, 1985 ; éditions du Seuil, "Points romans", 2001. Révolte, Seuil, 1991. Sang, Seuil, 1992. L’Amour Brut, Flammarion, 1993 ; La Musardine, 2006. Le Garçon de joie, Stock, 1993. Sexuellement incorrect, L’Atelier contemporain, 1995. Pour Jamais, Joëlle Losfeld, 2001 ; éditions H&O, 2006. Saccage, La Musardine, 2005 ; France Loisirs, 2006. Le Songe d’Alcibiade, H&O, 2006. Le Jour de Gloire est arrivé (pièce de théâtre en collaboration avec Franz-Olivier Giesbert), J’ai lu humour, 2006. Aux Gémonies, H&O, 2007. Anthologie de la peur, entre chien et loup, éditions du Seuil, 1989.
Par hasard ,j'ai ouvert et lu quelques lignes d'un livre d'Eric Jourdan aujourd'hui ,et j'ai été très attirée par la beauté de son écriture .Cherchant un peu d'information sur le net sur cet auteur ,me voici ici . Merci pour les informations et l'éloge qui me semble mérité . (J'aurais dû acheter ce roman !!! )
RépondreSupprimerHécate