Lecteur, "rappelle-toi"... d’acheter ce livre !


(0) commentaires









« Une comédie humaine » des années 2000, sous la plume de François Reynaert
« Rappelle-toi » : quel impératif terrible, employé dans le titre de ce roman attachant de François Reynaert, qui exprime un commandement auquel on ne peut pas déroger. Une obligation et peut-être une accusation latente...



Le livre, paru cette année aux éditions NIL, est écrit à la première personne, mais « je » s’appelle « Basile Polson », journaliste et gay de surcroît !



Dès le titre, le poids de cet « ordre » pèse sur cette histoire de retrouvailles forcées, car quelque part le personnage ne peut s’y soustraire. C’est un peu comme si un « commandeur » lui ordonnait de se rappeler, de faire son coming-out de ce que le coeur recèle de folies, de fantasmes et de désirs...



Tout d’abord, il ne sait pas trop, mais après ce travail de mémoire c’est pour lui le début des enfers....Basile est cependant tout le contraire d’un Dom Juan gay, c’est un homme, comme son prénom l’indique, un peu hors mode, très humain avec beaucoup de bon sens, qui ressemble terriblement à chacun d’entre-nous : un « Basile », basique gay en quelque sorte !



Toutefois sa vie bascule avec ce devoir de « mémoire » : il reçoit en effet une invitation d’une personne dont il ne se rappelle absolument pas et qui lui demande de participer à une fête façon « vingt ans après » entre copains et copines du bon vieux temps !



Même s’il n’aime pas les mélancolies passéistes et les prises de conscience douloureuses, son « destin » l’oblige à retrouver un passé en fait encore très présent dans son coeur comme dans son corps !



Le livre est émaillé de réflexions sur la vie et de « maximes » d’une grande justesse, cependant on ne suit pas toujours ce que l’on pense ou la meilleure voie : celle de la raison ! C’est ce qui arrive à ce pauvre Basile Polson ! Ainsi, ce que la raison a déduit de son expérience, ce que la douceur d’une vie à deux lui a appris, vacille devant cette remémoration lancinante et le fantôme qu’elle cache.



Son destin l’arrache donc à une vie douillette et à un amour heureux et le projette dans les méandres d’un passé qui en fait n’a pas cessé de le torturer au plus profond de lui... Les situations sont très pittoresques et ne manquent pas de sel car le contexte s’allie au destin pour renforcer des situations ridicules lorsqu’il se retrouve habillé comme au temps de sa jeunesse au fond d’un camping perdu ressemblant à un camp retranché !



On croise beaucoup de « fâcheux » dans ce livre comme on les appelait du temps de Molière, le passé comme le présent est rempli de personnages dont on ne peut se dépêtrer. Tout ceci donne sa truculence à ce roman, mais le trait n’est jamais forcé. Il est même terriblement révélateur lorsque est abordé le passage de la rencontre dans un festival gays....



Tous ces ingrédients rajoutent une forme de « tragique » à cette situation : les personnages deviennent pathétiques, englués dans leur rôle-destin ! C’est en quelque sorte la nef des fous dans laquelle on s’embarque imprudemment !



Mais ce retour en arrière, nous donne aussi la possibilité de revenir sur la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt et de se rappeler comment l’homosexualité pouvait être vécue à cette époque.



Basile Polson ne se change pourtant pas en statue de sel, le passé ne l’immobilise pas, il l’actionne à nouveau, et la petite musique du souvenir s’infiltre dans ses pensées, faisant ressurgir en lui des désirs assez puissants pour torturer son présent. Ce doit être (pour rappeler le goût des jeux de mots de François Reynaert dans ses chroniques) ce que l’on appelle un « flash Bach », où s’entonne la cantate de la jeunesse et des premiers émois à jamais cristallisés au fond de nous !

Tout le passage consacré à son premier amour et à la concrétisation de ses rêves est une sorte de nouvelle en soi qui porte la lumière de ces « blés en herbe » pour reprendre l’image d’un roman de Colette, auteur dont le héros semble très attaché.



Dans chacun d’entre-nous, entre le temps du « Blé en herbe » à celui de « La fin de Chéri », il n’y aura eu peut-être que le temps d’une saison de notre imaginaire, celle où l’on ne se voit pas vieillir mais qui se conclue en nous montrant définitivement la jeunesses sur une autre rive ! Cependant les passions restent...



On constate également que les désirs et fantasmes conduisent allégrement nos vies, faisant de nous des marionnettes, car notre intelligence est détrônée par ces besoins instinctifs profondément enfouis. « Rappelle-toi » c’est le coup de couteau dans la plaie d’un désir insatisfait, qui n’a perdu ni sa force ni son ardeur !



Basile Polson offre ainsi le double visage de Janus : l’homme qui aime Victor, son compagnon, pour la « beauté de la vie à deux », le côté protection et rayonnement du bien-être amoureux et « l’avenir » qui se projette, et au verso l’adolescent qui ne cesse d’être subjugué et bouleversé par Tony, bisexuel à ses heures, aussi peu affectueux qu’efficace au lit...



Un roman donc à ne pas rater, car il nous amène aussi à réfléchir et à se poser des questions sur nous-mêmes et ce que nous sommes. En plus on partagera sans modération, car on l’aura souvent vécu dans le monde gay, les constats de Basile, comme par exemple celui-ci :



« (...) on a été si content de présenter des amis qui ne se connaissaient pas, on a été si heureux que la rencontre se passe au mieux, et huit jours, un mois, un an plus tard, le sol se glisse sous nos pas quand on apprend, toujours par hasard, qu’ils se fréquentent maintenant hors de nous. Que dire alors en amour, que dire quand le désir est en jeu ? Le sol ne glisse pas, la terre entière s’ouvre sous vos pas. »



Je ne saurai trop vous conseiller d’emporter ce livre si vrai dans vos bagages. Il parle non pas d’un personnage de papier nommé Basile Polson, pris dans les filets du passé et du présent, mais tout simplement de nous. Toutes ses réflexions, ses prises de conscience, le regard qu’il porte sur lui-même et sur ceux qui l’entourent sont bien les nôtres, soyez en sûrs !

* * *

Tout d’abord je tiens à remercier chaleureusement Monsieur François REYNAERT, pour sa gentillesse, sa simplicité et ses contacts par courriels ou par téléphone, cela m’a beaucoup touché.

François REYNAERT est un homme d’une rare qualité, un de ceux qui restent clairvoyants sans perdre leur humour, sa chronique dans le Nouvel Obs l’atteste, et un de ceux qui restent « humains », qualité encore plus rare aujourd’hui... Un parfait « Honnête homme » en quelque sorte, et je vous invite à le découvrir à travers cet interview et sa production littéraire ; vous trouverez sa bibliographie en fin d’article.
Encore une fois Bravo et Merci Monsieur REYNAERT !
* * * * * *
François REYNAERT, vous semblez être venu au roman après le journalisme, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?


FR - Il est assez classique de nos jours pour un écrivain. Par goût de l’écriture, et de l’enquête, aussi, je suis devenu journaliste, d’abord à Libération, puis au Nouvel Observateur. En parallèle, j’ai commencé d’écrire des livres, d’abord des essais assez proches du journalisme, puis des romans, qui m’en éloignent. Dans « rappelle-toi » par exemple le personnage est journaliste, mais tout le reste est de la pure fiction et j’ai tenté de bâtir ce livre comme un thriller : il part sur un mystère (le personnage reçoit un mail qui l’invite à une fête de retrouvailles dans le camping de sa jeunesse, et il ignore tout de celui qui lui a écrit), je pense que le lecteur a envie de se plonger dans le récit pour lever le voile sur cette énigme .


Qu’est ce qui vous a décidé à parler ouvertement de votre vie homosexuelle ?


FR - Une évidence, une nécessité, l’obsession de la sincérité du propos et des sentiments.


Dans ce dernier roman « Rappelle-toi », le héros est violemment partagé entre deux directions différentes : un côté dionysien qui est celui de sa jeunesse et des folies du corps, prêt à tout balayer pour de rares heures d’exultation avec Tony, et un côté apollinien, avec l’évocation de son ami Victor, qui représente la stabilité, l’harmonie et un rayonnement intérieur. Pensez-vous que c’est justement là que se situe tout le drame du « monde gay » ? (on notera au passage que vous faites parler plus longtemps Basile Polson de cette violente passion avec Tony que de l’amour épanouissant avec Victor)


FR - Je ne pense absolument pas que cette problématique soit spécifique au monde gay. Je pense que 95% des individus, quelque soit leur sexe et leurs préférences, sont attirés par ces deux pôles opposés : d’une part le besoin d’un amour protecteur, bâtisseur, en quelque sorte, qui nous construise un peu à la fois un cocon doux et chaud. D’autre part le besoin d’assouvir un désir brutal de passion, de sexe, l’envie de quelque chose de destructeur et voluptueux, aussi. Par ailleurs, cette fois j’ai plus parlé de Tony – le côté sexe, volupté- que de Victor, car le précédent roman (Nos amis les hétéros) était une grande ode amoureuse à ce même Victor. Il faut varier les plaisirs littéraires, tout de même !


A un moment de sa vie, est-ce réalisable « d’effacer tout et de tout recommencer » ?


FR - IL m’est difficile de répondre, puisqu’une des clés, pour répondre à cette question, tient dans un des secrets que le livre dévoile un peu à la fois.
Dans ce roman le retour vers le passé ne signifie-t-il pas également que le narrateur s’installe dans une grande solitude ? Car ces démons intérieurs ne nous coupent-ils pas du monde ?


FR - Le narrateur, Basile, va décider finalement de retourner dans le camping où il a passé ses vacances de jeunesse pour retrouver les amis de ses années là. Bien sûr, ça le coupe momentanément de ses amis d’aujourd’hui, ou de Victor, son grand amour. Mais ça le rapproche des amis d’hier, même si dans le roman, comme le comprendront ceux qui le liront, ils sont bien difficiles à retrouver.


Comment vous-même avez-vous vécu le début des années 80 dont vous parlez dans ce roman ? Vous faites dire à Basile Polson « on ne s’affirmait pas homosexuel –c’était trop terrifiant, trop définitif… »…


FR - Je me souviens en effet qu’à l’époque, personne- de mon âge- ne se proclamait homosexuel, sinon quelques militants très courageux. On passait par un biais : on disait, « oui j’ai déjà essayé avec un mec, il faut bien avoir des expériences ».


Vous ne parlez pas du Sida, qui apparaît dans ces années là, les jeunes semblent ne pas avoir peur de cette cruelle réalité qui a modifié en profondeur les comportements de la société et a, au début au moins, bien contribué à marginaliser et stigmatiser les gays alors qu’une certaine ouverture s’amorçait.


FR - Vous avez tout à fait raison , le SIDA a modifié considérablement les comportements, mais l’épisode essentiel du roman se déroule à l’été 83, c’est à dire à un moment où seuls quelques rares journaux commencent à parler d’une « étrange maladie » apparue aux Etats-Unis. Personne cette année là, n’avait encore conscience qu’elle allait transformer nos vies.


Basile Polson prend conscience qu’il ne regarde plus les « jeunes » comme autrefois, lui même ayant vieilli. Ne trouvez-vous pas que le jeunisme ambiant est en train de détruire tous les liens que la communauté gays avait su tisser ?


FR - Je ne trouve pas que la société soit plus « jeuniste », que quand moi-même j’étais jeune. Au contraire, même : pensez à la facilité aujourd’hui avec laquelle des tas de gens refont leur vie à cinquante ou soixante ans, retombent amoureux, se remarient etc. Cest assez neuf, ça, et c’est très réjouissant. Pour revenir encore plus loin dans le passé, le pire moment du « jeunisme » à tout crins, ça restera les années soixante. On est sorti de cela.


Qu’est ce qui vous plait le plus aujourd’hui dans le « monde gay » et qu’est ce qui vous irrite le plus aussi ?


FR - Pardonnez moi de vous répondre si franchement : j’écris des romans qui parlent d’homosexualité, je vis avec un homme, j’aime les hommes, mais je connais trop peu le « monde gay » pour me risquer à des généralités.

Dans ce roman « Basile Polson », le narrateur, prend aussi beaucoup de recul et s’examine en quelque sorte, ce qui donne de belles phrases sous forme de constat ou de maximes, par exemple : « Quelle aubaine de n’avoir rien fait de ses vingt ans, on a tout à espérer de ses quarante. » « …la peau n’est rien, seul compte le sang qui coule dessous. » N’êtes vous pas quelque part un « moraliste » tel La Rochefoucault, et ceci n’est-il pas aussi renforcé par la perception du monde que vous avez en tant que journaliste habitué à écrire des chroniques très libres et pleines d’humour grinçant ?


FR - Je pense que cela tient plutôt au choix littéraire que j’ai fait, avec ce roman. Il me semble l’avoir inscrit dans la tradition des « romans psychologiques »,qui appuient l’action de considérations morales, ou psychologiques, justement. Après, j’essaie de polisser les formules du mieux que je peux. Bien écrire, choisir ses mots, ses phrases, les reprendre, les retravailler fait partie, à mon sens, de la politesse que l’on doit au lecteur.

Dans le roman vous faites dire à Basile Polson « l’endroit s’était à peu près rempli sans même l’aide de ce raseur qu’on appelle le public. », quel est justement votre relation avec votre public par le journalisme ou par le roman ? A priori vous n’êtes pas inaccessible et en tout cas très disponible et charmant avec ceux qui vous contacte, je peux en témoigner !

FR - Vous savez, écrire un livre, se dévoiler ainsi (même si tout ce que je raconte est de la fiction) est un exercice très impudique. Tous les romanciers sont semblables : on écrit très librement, et on a peur dés lors que le livre sort. Sortir un livre, c’est se sentir tout nu au milieu de la cour de récréation. ON a peur des moqueries, ou pire encore, de l’indifférence. Dès lors que des gens, comme vous, font la gentillesse d’apprécier ce que l’on a écrit, d’être touché par l’histoire que l’on raconte, on est touché soi même, et on est content de le montrer. Je le dis d’ailleurs, à vos lecteurs : dés lors que vous aimez un livre, n’hésitez jamais à envoyer un petit mot à l’auteur (via sa maison d’édition, par exemple), tous les écrivains du monde, même les plus célèbres, même les plus consacrés, sont sensibles à cela.



BIBLIOGRAPHIE de François REYNAERT :

Pour en finir avec les années 80, Calman-Lévy, 1989

Sur la terre comme au ciel, Calman-Lévy, 1990

Une fin de siècle, Calman-Lévy, 1994

L’air du temps m’enrhume, Calman-Lévy, 1997

Nos années vaches folles, Nil, 1999

Nos amis les journalistes, Nil, 2002

Nos amis les hétéros, Nil, 2004

Une golden en dessert, Nil 2006

La planète des saints, Hachette, 2007

Rappelle-toi, Nil, 2008

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire