Amateur de sculptures et de peintures, j’ai souvent le nez dans les musées, les expos, ou les livres d’art, et toujours à rechercher des pistes nouvelles et des raretés. Il y a quelques années de cela je suis tombé par hasard sur une photo d’une statue que je trouvais superbe « Le guerrier blessé » (1), j’ai donc voulu savoir le nom de ce sculpteur…Là, je restai interdit lorsque j’appris qu’il s’agissait du « sculpteur d’Hitler » (2) ! Tout dans cette périphrase me saisissait d’horreur ! Un peu sonné par cette information, sans trop réfléchir, je me débarrassai de cette photo et laissai les diverses informations que j’avais trouvées dans le gouffre du Net ou l’oubli des vieux livres comme si j’avais fait quelque chose de mal ou touché quelque chose de sale…
Cependant j’y suis revenu, en différentes « étapes », si l’on veut, découvrant étonné des œuvres injustement mises de côté et passées sous silence dans l’histoire de l’art. Je signale au passage que très rares sont les livres qui traitent de cette période et donnent à voir des reproductions de cette statuaire.
Un livre m’a également passionné, celui que mon académicien préféré, Dominique Fernandez, a consacré à l’art et à l’approche de l’homosexualité dans l’art :« L’amour qui ose dire son nom ». Je ne saurais d’ailleurs trop insister pour vous convaincre d’acquérir ce livre somptueux, conçu par un écrivain qui sait allier sensibilité, richesse du verbe, et fine analyse. Un de ses derniers romans « La course à l’abîme » met d’ailleurs en scène la vie d’un peintre, Le Caravage, dont les œuvres révèlent sous sa plume toute la sensualité et les desseins cachés de ce génie de la peinture.
Pour revenir au propos initial, j’ai continué à découvrir d’autres sculptures dont, je le disais, peu de livres parlent aujourd’hui interdisant ainsi toute forme d’opinion personnelle. Pour moi, toute la statuaire de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle porte en elle le même chant et les mêmes codes : un retour aux sources antiques : massivité et rondeurs, ou formes plus acérées, comme si la sculpture devait fendre l’air en émergeant dans nos cités. Les lignes du « Kouros » sont redéployées à nouveau, cette statuaire de combats antiques ressuscitée aussi. L’instinct et le corps libérés se lisent un peu partout et s’inscrivent dans la même vague que celui du courant naturiste qui n’a cessé de révolutionner l’image de l’homme moderne et qui doit beaucoup à la contribution homosexuelle pour la libération du corps.
Tout ceci se retrouvait dans l’Allemagne et l’Italie des années trente et quarante. A regarder de près ce qui s’est créé avant et après ces périodes, il me semble qu’on pourrait avancer plutôt l’idée que les totalitarismes ont réemployé les schémas qui existaient déjà, mais voulant les arrêter pour les assujettir comme métaphore de leur force ils n’ont en fait pu ni édicter une forme ni museler l’inspiration, et ces statues disent aussi plus que le discours fasciste qui les a recouvertes de son linceul. On s’est servi de Wagner et de Nietzsche comme on a voulu se servir des artistes de cette période. L’Allemagne n’a-t-elle pas aussi été la première victime du nazisme, comme on l’a déclaré ?
Bref, le temps passant, et au fil de certaines occasions, je me suis posé la question du « pourquoi » au sujet de la permanence de cette condamnation et de la mise à l’écart de certains artistes. L’art peut-il avoir une responsabilité politique ? S’il en a une, est-ce de l’art ou une forme arrangée de propagande ? L’art n’est-il pas un monde en lui-même, certes pas toujours regardant sur la nature de son piédestal ? L’opportunisme a souvent été le défaut des créateurs dont on attendait peut-être un peu trop, humainement parlant.
Je ne sais pas quoi répondre à toutes ces questions, mais il y a une chose qui me dérange beaucoup c’est une forme d’injustice et de différence de traitement ; pourquoi le pardon, l’absolution, l’oubli serein d’un côté et la stigmatisation insistante et la chape de plomb de l’autre ?
Se pose-t-on encore la question sur la « dignité » de Richard Strauss, sur les états d’âme d’Elisabeth Schwarzkopf, sur l’implication de Furtwangler ou sur la jeunesse de Karajan ?
Je ne suis pas un professionnel de ces questions et vous renvoie à votre propre expérience, à votre ressenti et votre suggestivité, mais il me semblait intéressant de lever un peu le voile sur certaines créations parce qu’elles sont porteuses d’une réelle attractivité et d’une émotion non moins décelables.
Arno Breker (1900-1991), a eu une longue vie de sculpteur qui lui a permis de côtoyer les plus grands et de garder leur amitié avant pendant et après-guerre, dont Maillol, Cocteau, Dali, Fuchs, Peyrefitte etc. On ne peut, me semble-t-il, réduire sa création aux années noires où le nazisme a enlisé l’Allemagne dans sa folie, lui-même n’a jamais eu la carte du parti nazi mais il est vrai qu’il a été utilisé par ce pouvoir et s’est laissé utiliser aussi. « Nous ne sommes que des artistes…et rien d’autres ! », disait-il, certes, mais s’il a exalté les corps, il n’a pas été lui-même un surhomme, préférant s’enfermer dans son monde de statues quand tout basculait autour de lui, tant d’autres créateurs cependant, dont je parlais plus haut, ont suivi un parcours identique…
A ce niveau je ne suis pas le jugement de Dominique Fernandez qui voit l’émergence du mythe aryen à travers le travail de Breker, qu’il considère froid et dénué d’émotion, tout en restant en revanche séduit et plus enclin à la clémence, par l’ensemble des statues géantes du stade des marbres à Rome. En effet, c’est une autre grande manifestation visuelle et matérielle à l’italienne du totalitarisme. On perçoit toujours la troublante double lecture que l’on peut faire de ces corps d’archétypes sportifs nus… Et ils inspirent encore de nombreux créateurs (cf calendrier 2008 des « Dievx dv Stade ») sans parler des designers, stylistes, cinéastes, photographes, peintres, dessinateurs, sculpteurs, auteurs, publicitaires qui ont arrêté les canons de l’iconographie gay contemporaine.
Ce qui m’intéresse et me touche dans les sculptures de Breker c’est l’aisance toute classique avec laquelle il donne vie et souffle à la matière qu’il travaille. Les bustes des hommes célèbres qu’il réalise portent l’émotion et l’esprit de leur modèle (Wagner, Dali, Senghor, Cocteau, Lifar etc.), et ses hommes de bronze ou de marbre tous les sentiments contradictoires et les questionnements de la fin du romantisme. Attardez-vous sur ces visages, ces poses, ces contours, l’effet produit est prenant car il se dégage beaucoup d’érotisme, de mélancolie et d’inaccessible perfection. Pour moi, Arno Breker fait partie de cette lignée qui va de l’antiquité aux sculpteurs de la Renaissance et qui resurgit avec force notamment grâce à Rude, Rodin et bien d’autres. Je partagerai, vous l’avez compris, plutôt l’avis de Jean Cocteau à son sujet.
Cependant, le mal produit a été si grand et si profondément marqué durant ces années de détresse, d’humiliations, de vengeance, de déportations, de carnages et de mort, autant morale que physique, qu’il semble bien difficile encore d’aborder ce genre de débat, bien insignifiant je le concède devant tous ces désastres.
Allemagne d’Hitler, Italie du Duce, URSS de Staline, et tant d’autres pays pris en otage par des guignols sanguinaires, la liste est trop longue et trop douloureuse. L’art, qui devrait être une voie d’évasion, de rêve, de réflexion, et de prise de conscience, a payé un lourd tribu à ces démons. Parfois pliant, parfois courage, parfois trahissant, parfois sans réponse, il a oscillé au rythme du cœur humain, car il n’en est que l’expression et que l’aboutissement.
Je vous laisse donc le soin, si cela vous intéresse, de découvrir Arno Breker et de vous faire une opinion par vous-même, puisque tant de livres qui occultent cette période confisquent notre liberté de jugement.
(1) Sculpture représentant en fait un homme blessé, inspirée d’après une photo du cycliste français André Leduc lors du tour de France 1930. (2) Arno Breker.
Propositions de lecture et sources :
Breker, de Gérard Leroy, Edition Pardès, Qui suis-je. Il s’agit là de la première - et la seule à ce jour - biographie en français du sculpteur, avec illustrations.
voir le site de Gérard Leroy
L’amour qui ose dire son nom, de D. Fernandez, Stock (livre d’art).
Stadium, de JL. Guillemain, Norma (livre d’art sur le « stadio dei marmi » à Rome).
De la fascination à la persécution, article de Blaise Noël pour le site Triangle rose
à lire également le « Salut à Breker » dans le journal de Cocteau
à voir le site sur arno Breker
Nicolas Oblin, sport et esthétisme nazis : Allemagne d’hier et d’aujourd’hui, L’harmattan, ISBN : 2-7475-2207-5 • avril 2002 • 208 pages
« On assimile couramment le sport à l’art, en tant que constituant de la culture. Dans ce solide travail, Nicolas Oblin démontre, en s’appuyant sur le paradigme nazi , en quoi le sport institutionnalisé - devenu producteur de mythes et d’une culture de masse -, est profondément antitranscendantal, anticulturel, antidémocratique. Dénonçant le schisme qui existe entre une telle conception du sport et l’art véritable, cet ouvrage est une importante contribution à une meilleure compréhension de l’idéologie totalitaire hitlérienne ».
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RépondreSupprimerHi thhanks for posting this
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