Un « CHERI » sans goût !


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Admirateur de Colette depuis toujours et du cinéaste Stephen Frears, je me réjouissais de voir porter à l’écran ce roman écrit en 1920. Ma déception fut grande de découvrir un film sans âme et sans génie, desservi par des comédiens qui ne correspondent pas aux rôles, le tout dans un style emprunté et kitch, à la limite du caricatural et du mauvais goût.
Certes Michelle Pfeiffer, si elle n’a rien de la plantureuse Léa qu’elle est supposée incarner à l’écran, garde néanmoins un jeu intelligent qui se perd face à un Chéri, Rupert Friend, inexistant et calamiteux comédien. Frears a eu aussi l’idée curieuse d’inviter un récitant, lui-même dans la version originale, afin de commenter, de façon fort prétentieuse et inadaptée, les époques charnières de ce « drame » ! Ceci n’ajoute qu’un ton ampoulé supplémentaire, casse l’unité du film et alourdit un propos en cachant un peu plus le sens initial de l’oeuvre.

 
Frears a voulu concentré les deux romans de Colette « Chéri » et « La fin de Chéri », ne réussissant qu’à donner un brouet pâteux, amorphe et sans intérêt avec utilisation outrée de décors floraux, d’intérieurs raffinés et de beaux costumes. L’ensemble s’apparente à un gros gâteaux de mariage américain mi carton pâte mi crème au beurre ! Si j’ose écrire, les deux acteurs, face à un scénario qui a découpé par ci par là des lambeaux de texte colettien, nous donnent à entendre un dialogue bête...

Colette a 47 ans lorsqu’elle publie ce roman « Chéri » en 1920, dont l’action se déroule avant guerre, elle tirera également une pièce de théâtre et y reviendra en 1926 avec un second roman « La fin de Chéri », où Chéri, las de vivre une vie où le temps ne peut être arrêté, décide de se suicider avec son revolver.

Dans l’oeuvre de Colette, ce récit se distingue des autres car il a pour titre le nom du héros masculin « Chéri », alors que tous les autres livres de Colette, dont le titre est un nom propre, sont au féminin. En 1920, nous sommes aussi dans une époque en pleine révolution, à la sortie de la grande guerre les femmes ont pris dans la société française une place plus importante et s’affirment.
Le roman de Colette décrit la vie de Léa, femme puissante, riche et indépendante, qui prend sous sa coupe le fils, Chéri, d’une de ses amies. Les hommes sont absents de ce livre. Chéri n’est pas non plus un gigolo, il a de l’argent et une position sociale, il est simplement homme-objet, à la recherche d’un temps qu’il essaye d’arrêter par tous les moyens, fuyant comme on le dit ses responsabilités autant que son image virile !

Ce roman commence d’ailleurs par la scène du collier de perles : « Léa ! Donne-le-moi, ton collier de perles ! ». Chéri ressemble plus à un jeune Dionysos, qui n’a rien à faire des conventions et recherche son plaisir comme un jeune animal. Il n’y a d’ailleurs aucune morale dans ce livre : ni de la part de Chéri, être amoral par essence, ni de la part de Léa, ni de la part de la mère de Chéri qui profite de toutes les circonstances selon ses intérêts et ceux supposés de son fils.
Chéri est façonné par Léa, deuxième mère et première maîtresse. Les rôles sont ainsi inversés : la femme interprète un rôle de pouvoir, de domination, de Pygmalion et l’homme un rôle d’élégant, guidé par ses sens et une nonchalance déconnectée de toute réalité. Léa et Chéri : deux félins qui ont cru vivre hors du temps dans un Eden de leur imagination.

Si vous avez vu ce film, sans connaître l’oeuvre de Colette, je ne peux que vous inciter à faire l’effort de le lire, car l’écriture de Colette est éblouissante, la plume précise, la phrase épouse chaque situation et se fait féline, souple, en apprivoisant chaque mot pour dessiner et suggérer au mieux l’action qui se déroule.
Durant cette période, Colette écrivit « Le blé en herbe » et aussi l’extraordinaire « Naissance du jour ». Ces romans, bien que différents, nous donnent néanmoins une idée précise de ses pensées à ce moment de sa vie, et ils sont restés d’une étonnante actualité puisque nos sociétés fabriquent à n’en plus finir des « Chéris » qui demeurent d’éternels adolescents que le temps rebute, notamment dans le monde gay... A nous d’avoir l’intelligence et le courage de comprendre ce que vieillir peut apporter aussi.

« Attendre, attendre... Cela s’apprend à la bonne école, où s’enseigne aussi la grande élégance des moeurs, le chic suprême du savoir décliner... » Colette, La Naissance du jour
notes :Sur Colette : http://fr.wikipedia.org/wiki/Colette
Sur Frears : http://fr.wikipedia.org/wiki/Stephen_Frears
à savoir :
un autre film sur « Chéri » est sorti en 1950 signé par Pierre Billon (1901-1981).

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