Interview de Philippe CASTETBON, journaliste et photographe, auteur du livre « Les condamnés »


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Philippe CASTETBON, par l’intermédiaire des éditions H&O que je remercie vivement, a bien voulu répondre à quelques questions sur son dernier livre « LES CONDAMNES ».

« Nous devons mener un combat contre la société, les traditions, le religion et même notre mémoire. » témoignage extrait du livre précité








Vous racontez en avant propos comment ce livre s’est réalisé au fur et à mesure des contacts via les sites de rencontres sur Internet, cependant combien de temps vous a-t-il fallu pour engranger toutes ces informations et ces témoignages ?

PC - J’ai eu l’idée et l’envie de ce projet en août 2007 lorsque je me suis inscrit pour la première fois sur un site de rencontres (où je ne suis resté qu’un mois). Puis, cette idée est restée en sommeil dans mon esprit, j’y pensais régulièrement sans jamais me lancer dans sa réalisation. Je dois préciser que dès le départ je savais exactement ce que je voulais : une photo du visage caché, un texte personnel de témoignage et la phrase "Dans mon pays, ma sexualité est un crime" traduite dans la langue natale de chaque participant au projet. Ce titre "Dans mon pays, ma sexualité est un crime" me plaisait beaucoup et il faisait sa place petit à petit dans ma tête. Et je voulais vraiment recueillir des photos, pour présenter un travail d’abord basé sur l’image, puis sur le témoignage.

Et un jour, le 14 novembre 2008, je crois, j’ai eu envie de voir si ce projet pouvait devenir réalité. Je me suis inscrit à nouveau sur un site Internet, après avoir dressé une liste des pays qui condamnent l’homosexualité féminine et masculine, et j’ai commencé à contacter des gars connectés, pays par pays, en leur expliquant mon projet.

Finalement, j’ai travaillé sur ce projet pendant un an, le dernier témoignage, celui du Guyana, est arrivé en novembre 2009, alors que tout était presque terminé.

Les sites de rencontre par internet semblent jouer un rôle très important pour que ces personnes puissent vivre leur identité homosexuelle/homosociale, certes clandestinement ; pensez-vous qu’ils peuvent ainsi mieux se connaître, se retrouver, « vivre » un en peu en quelque sorte et ne pas renier leur dignité?

PC - Je pense, oui, que les sites de rencontres par Internet ont une place importante pour les homosexuel(le)s qui vivent dans des pays où leur sexualité est considérée comme un crime. Il permet de discuter, d’échanger avec les autres, de se rencontrer, d’avoir des relations sexuelles ou bien de vivre de vraies histoires d’amour. Dans ces pays-là, souvent il n’y a pas de bar, pas de boîte, pas d’association, pas de lieu extérieur pour se rencontrer. Donc, Internet reste l’unique moyen pour ne plus se sentir seul et découvrir que d’autres femmes, d’autres hommes sont aussi dans cette situation, obligés de se cacher et de mentir. Mais, il faut éviter les pièges et rester très prudent car parfois les rencontres suite à un échange par Internet peuvent être dangereuses et sont un piège tendu pour arrêter ou tuer la personne.

Ces personnes sont-elles restées en contact avec vous depuis ?

PC - Oui, je suis toujours en contact avec eux. Pas avec tous, bien sûr, mais pour la plupart, nous continuons à échanger des messages, je les informe de ce qui se passe ici en France autour de l’exposition et du livre, je leur envoie les liens vers les sites des journaux où on peut voir leur photo. Nous échangeons ensemble depuis des mois maintenant, ils se sont investis dans le projet, ont trouvé du temps pour se prendre en photo et écrire un texte, donc des relations se sont créées. Et j’en ai rencontré certains, à Paris par exemple.

Avez-vous pu rencontrer certains de ces garçons dans leur pays ?

PC - Non, je ne suis pas allé dans leur pays pour les rencontrer, ni pendant la réalisation du projet, ni depuis que le projet est terminé. Mon objectif était de réaliser ce travail entièrement par Internet, sans les rencontrer. Je voulais rester dans le strict cadre de la rencontre par Internet, contacter des hommes connectés en même temps que moi, chacun dans son pays. Je souhaitais que chacun puisse s’exprimer comme il le voulait, comme il en avait envie, que ce soit pour la photo ou pour le texte de témoignage. Mon envie était de leur donner la parole directement.

Quelques garçons semblent avoir pu sortir de ces pays pour venir en Europe, comment vivent-ils depuis si vous avez gardé le contact avec eux et sont-ils maintenant réellement en sécurité ?

PC - La phrase qui revient toujours est : "Je suis enfin libre !" Donc, je pense que quitter leur pays est une vraie libération et la fin de la peur, pour pouvoir être enfin soi-même, en toute sécurité.

Certains intellectuels, comme Abdellah TAÏA d’origine marocaine, témoignent aujourd’hui courageusement aussi de leur « identité » ou essayent de faire progresser les mentalités de leur société, avez-vous reçu leur soutient ou les avez-vous contacté ?

PC - Abdellah TAÏA est venu voir l’exposition car, sans le connaître personnellement, je l’avais invité par l’intermédiaire de son site Internet. Comme je le trouve très courageux dans sa démarche et comme j’aime ses livres, j’ai eu envie de l’informer de mon travail. Je crois qu’il a apprécié ce projet, car il sait ce qu’est la vie faite de mensonges pour cacher son identité, il sait, comme d’autres, ce qu’est la solitude quand on découvre sa différence, une différence rejetée par la société et condamnée par la loi. Des amis, qui ont aussi décidé de venir en France pour vivre en paix, m’ont dit qu’ils avaient ressenti les mêmes choses quand ils étaient dans leurs pays.

Ce livre que vous sortez aux éditions H&O est aussi très « politique » car il dénonce les tortures morales et physiques employées contre des hommes (et des femmes aussi) qui veulent simplement être ce qu’ils sont dans ces pays, dont beaucoup restent des « partenaires » commerciaux et financiers de l’Europe et de l’Amérique du Nord ; comment ressentez-vous cela ?

PC - Je crois qu’il reste encore beaucoup de choses à faire politiquement. Et que nous pouvons tous agir, pour essayer de changer les choses. Mais, nous le savons, les intérêts financiers passent toujours avant les êtres humains. Malgré tout, je pense que la liberté et le respect des droits de chaque individu, sont un combat nécessaire qu’il faut mener sans relâche. En trouvant des solutions pour faire pression sur ces pays afin qu’ils changent leurs lois.

Un témoignage très intéressant est celui d’un homme de Papouasie, bisexuel, qui dit que les pratiques sexuelles et traditionnelles ont été dévoyées par des « mots étrangers » et par une morale chrétienne qui impose une vision du monde qui n’est pas celle des autochtones. Il persiste toujours ce qu’on pourrait appeler un colonialisme moral et religieux tous azimuts qui essaye de perdurer par tous les moyens, vous semblent-ils pour certains pays y avoir des pistes d’évolutions favorables des mentalités vers plus de démocratie ?

PC - Il nous faut rester optimistes. En France le changement des mentalités est assez récent quand même. Tout cela prend beaucoup de temps. Je pense que l’évolution des mentalités se fera d’elle-même grâce, justement, à Internet. Car aujourd’hui on ne peut vivre isolé, chacun sait ce qui se passe de l’autre côté du monde. Même si certains pays ont la tentation, pour faire plaisir à la majorité de la population, de durcir les lois vers moins de tolérance (comme en Ouganda, par exemple), ils ne peuvent agir en toute impunité. Et la pression internationale, la mobilisation sur Internet, les échanges d’informations permettent de se mobiliser et d’agir pour éviter le pire. J’ai appris la semaine dernière que les "sodomy laws" des Fidji ont été abrogées, l’homosexualité n’est donc plus un crime dans ce pays ! Une bonne nouvelle...

Faites-vous vous-même partie d’une association ou d’un organisme militant pour le droit des opprimés à travers le monde, comme l’ECPM ou Amnesty International par exemple ?

PC - Non. Je préfère agir à ma façon. Je respecte et admire ces organismes militants qui font un travail formidable et nécessaire, mais je pense qu’il existe différents moyens d’action pour sensibiliser et informer. J’en ai choisi un autre.

Aujourd’hui quels sont les projets ou pistes de projets vers lesquels vous aimeriez porter votre attention ?

PC - Je ne sais pas du tout, même si j’ai déjà quelques idées. Mais, actuellement, je m’occupe de la sortie du livre et de répondre aux différentes invitations pour accueillir l’exposition en France et à l’étranger.

* * * *

Toute mon admiration et mon amitié à Philippe CASTETBON pour sa gentillesse, sa disponibilité et pour l’intérêt qu’il a manifesté autour de ces projets d’articles.


Notes
Bibliographie de P. CASTETBON

« Ici est tombé », aux éditions Tirésias

« Vivre par terre », aux éditions Tirésias

« Nu » avec les photographies de François ROUSSEAU, aux éditions Fitway








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