« Crime et châtiment » ou crime et exhibition ?


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« Crime et châtiment » ou crime et exhibition ? J’avoue avoir été pas mal déçu par cette exposition à Orsay où je m’attendais à voir un « traitement » pictural de ce thème et non une sorte de salmigondis avec frissons devant une guillotine voilée ou devant des têtes de condamnés en reproduction de cire ou en photos !


Ce mélange des genres et ce traitement curieux rendent cette exposition peu lisible, on passe en effet d’un tableau à des articles de journaux d’époque, d’un châtiment réel suprême à une interprétation artistique etc. S’agissant d’un musée consacré à l’art, phare de la peinture et de la sculpture du XIX°s et du XX°s et notamment des impressionnistes, il aurait me semble-t-il mieux valu rester dans le domaine de l’approche de chaque peintre face au traitement de la mort, du crime et de la sanction des hommes.


Le choix même des tableaux est discutable : des toiles montrant le calvaire du Christ en croix, des portraits de magistrats en habits, des oeuvres allégoriques etc. De plus que viennent faire ici ces tableaux religieux ? Si on voulait réserver une place à tout le domaine du crime et du châtiment dans le monde chrétien il aurait fallu alors donner beaucoup plus de place à ce volet de la peinture pieuse qui dénonce et illustre le crime des hommes contre les saints devenus martyres et envers le Christ !


St Sébastien de Basaiti
J’ajouterai qu’il aurait fallu aussi y introduire quelques « bémols » car la représentation du martyre a également permis à de nombreux peintres de se libérer de la pression religieuse de leur époque et du pouvoir ! Le traitement des tableaux liés au martyre des « Saint Sébastien » (voir mon précédent article sur ce sujet) illustre bien ce décalage entre la dévotion chrétienne au départ d’une commande « innocente » et l’objet réalisé qui synthétise une fascination aux multiples sous-entendus. Certains peintres ont ainsi magnifié les corps, les postures et la sensualité même de ces hommes « suppliciés » dont les flèches étaient plutôt celles de Cupidon que des archers romains...


Pour revenir à mon propos, on aurait pu dans cette exposition mettre plus en valeur certains tableaux majeurs, dont celui de Degas, que j’ai trouvé bouleversant «Le viol» !

Cette scène nous laisse une impression terrible d’impuissance et de malaise face à ce qu’il va arriver. Degas peint ce drame en présentant un panorama large d’une chambre à coucher, à droite un homme debout bloque la sortie d’une porte et met une main dans sa poche, il regarde à quelques pas de lui une jeune femme dénudée et assise, tournée au trois quart, où s’accroche la lumière d’une lampe posée à ses côtés, l’innocence et la lumière se rejoignent ; mais la jeune femme est déjà dans une position de soumission, déjà vaincue par la violence latente qui se dégage de ce terrible tableau !



Dans le grand bric-à-brac de cette exposition, on découvre toutefois quelques tableaux intéressants dont celui de Georges Grosz, 1893-1959, peintre allemand devenu américain par la suite, grand caricaturiste et expressionniste qui a su stigmatiser son époque. Il dépeint un « Hitler en Enfer » assez hallucinant. On le voit en effet assis et s’épongeant le front dans un tourbillon de couleurs de jaune et de lave avec à ses pieds un ruisseau de squelettes, de morts, et de silhouettes de personnages qui remontent derrière lui jusqu’à une fournaise intense !



Après Grosz, dont il serait intéressant d’imaginer une future exposition sur son art expresionniste, j’ai eu aussi un coup de foudre pour le tableau d’Alfred Courmes : « L’assassin au béret rose ».



Alfred Courmes est un grand peintre français qui s’est éteint à l’âge de 95 ans en 1993. Il est natif du sud de la France à Bormes Les Mimosas et son oeuvre s’inscrit également dans cette riche période de l’entre deux-guerres où futurisme, cubisme, expressionnisme, critique de la société et goût de la caricature vont se féconder sans cesse. Il a ainsi façonné un monde étrange, parfois comique, dérangeant, surréaliste, délicieusement coloré et si curieusement proche de nous !

Son assassin au béret rose est une belle réussite : au premier plan un buste et une tête de profil, assez laide, représentant une vielle femme bourgeoise aux joues pendantes, sans doute veuve vu ses habits noirs, avec un chapeau de fleurs mauves, qui est en train de se faire étrangler par un jeune titi parisien semblant très sûr de lui. Il est au second plan et entoure et surplombe totalement sa victime, presque « délicat » dans sa façon de lui tordre le cou, presque dandy et androgyne avec ses sourcils fins, ses lèvres d’un beau vermillon, son regard de biche et son béret « rose » ! Il apparaît comme un ouvrier ou un « apache »* et pourrait sembler sortir d’un milieu interlope. Le côté amusant c’est le décor de ruines antiques qui entoure ces deux personnages comme s’il s’agissait de la représentation mythologique d’un nouvel Oreste.


J’attends aussi avec impatience qu’une exposition rende un réel et bel hommage à Alfred Courmes dont l’univers ne lasse pas d’exciter notre imagination !


Si « Crime et châtiment » aborde la question de la criminologie et de ce que les peintres ont pu en retirer pour leurs études et leurs tableaux, comme Degas qui semble s’en être amusé de façon très irrévérencieuse avec sa sculpture de la jeune danseuse, il me semble que d’autres pistes auraient pu être empruntées et développées, celles, pour n’en citer que deux, relatives à l’interaction entre religion, dolorisme et/ou érotisme dans la peinture et littérature, psychologie et photographie, en bref « un crime et volupté », pour se rappeler le texte de Georges Bataille sur le supplice des 100 morceaux...


Pour terminer, il me semble indispensable, après l'homoérotisme qui se découvre dans le tableau d'Alfred Courmes comme dans la représentation de ses "Saint Sébastien", de livrer quelques vers de Jean Genet qui a si bien peint avec les mots son condamné à mort.

"Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.
Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour.
Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour."

Le condamné à mort, Jean Genet

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Notes :



sur Georges Bataille et le supplice des 100 morceaux : http://www.desordre.net/textes/bibliotheque/bataille.html

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