Jean Genet poète sublime !


(1) commentaires


Genet par Giacometti
2010 est l'année du centenaire de la naissance de Jean Genet (1910-1986). Un des plus beaux hommages qui ait pu lui être rendu, on le doit à Tahar Ben Jelloun avec son livre "Jean Genet menteur sublime", qui nous brosse un portrait de cet auteur mystérieux à travers une quarantaine de petits chapitres.

Tahar Ben Jelloun a connu Jean Genet durant les dix dernières années de sa vie. On est loin ici de l'image mythique du Jean Genet écrivain sulfureux et voyou non repenti, jeune, révolté, sortant de prison, à l'écriture sensuelle et précise, mais aussi presque mystique, élégiaque et incantatoire, comme dans le long poème du "condamné à mort".

Le portrait que brosse Tahar Ben Jelloun par petites touches est celui d'un homme qui passe les dernières années de sa vie à défendre la cause des palestiniens et de tous ceux qui n'avaient à l'époque quasiment nul autre soutient.

Si la vie de Jean Genet reste encore mal connue, les dix dernières années de sa vie le sont encore plus : qui sait aujoud'hui qu'il découvrit en 1982 les camps de Sabra et Chatila quelques jours après les exactions commises, les cadavres étant encore en place, qu'il essaya de lutter pour la défense des immigrés et pour défendre des hommes et femmes rejetés par tous et mis au banc de la société parce que dits terroristes?

Cependant, cette dernière position, comme celle qu'il prit en 1971 pour la cause des noirs en annonçant que, pour leur défense, on pouvait tuer des blancs, laissent pantois, et il semble que les mots aient dépassé à un moment sa pensée et que le coup de pied donné aux institutions en place et à la passivité ambiante ait été trop rude et son exaspération trop violente, en paroles du moins. Tahar Ben Jelloun à propos de ces paroles excessives a parlé de "lucidité subversive", l'expression me paraît très belle pour un auteur dont les écrits brûlent aussi d'une intensité solaire...

La passion de l'écriture, ou en tout cas le besoin d'écrire semble l'avoir délaissé durant ces années là et l'on voit se peindre le portrait d'un homme seul, vivant au jour le jour dans un grand dépouillement, sans attache ni biens, passant d'un hôtel à l'autre, insaisissable, une fois en France, une autre au Maroc ou ailleurs, se nourrissant d'aliments mous car n'ayant presque plus de dents, s'attachant encore à quelques figures masculines plus intéressées qu'intéressantes, attaqué par un cancer de la gorge, oublié et délaissé par le monde des lettres !

Il faut souligner qu'il n'a rien fait pour travailler à son "image" d'écrivain; Genet est au-delà de ça, plus dans l'impulsivité, la fulgurance et le chant d'amour! Mais encore fallait-il qu'il eût quelque chose à chanter, car son grand amour Abdallah se suicide en 1964, le laissant seul après neuf ans de vie partagée, seul et quelque peu asséché dans son inspiration.

Genet par Giacometti
Tahar Ben Jelloun insiste plusieurs fois sur ce côté déconcertant de Genet, le citant :"Ne parle plus jamais de mes livres; j'ai écrit pour sortir de prison, pas pour sauver la société; j'ai sauvé ma peau en m'appliquant comme un bon écolier, voilà c'est tout." et plus loin en parlant de lui : " Il ne s'intéressait pas aux écrivains. En tout cas quand je l'ai rencontré il détestait parler de littérature, de poésie ou même de la langue." et aussi : "Il ne voulait plus être un écrivain au chevet de son oeuvre, la défendant, obligé d'en faire la promotion. Il refusait d'endosser le costume de l'auteur libéré de prison par Sartre et Cocteau, de jouer au martyr, à l'homosexuel, au voleur et au rebelle."


On ne sera donc pas surpris d'apprendre qu'il ne fréquenta et ne parla que très rarement de ceux qui avaient tant fait pour le libérer de prison et lui éviter de partir dans les camps de concentration nazis en décembre 1943. De même, Genet n'a jamais parlé non plus à la fin des années soixante, comme dans les années soixante dix et au début des années 80 du mouvement homosexuel! Genet, à qui on doit sans doute les plus belles pages d'amour entre hommes, s'est totalement détourné d'une quelconque implication à ce niveau : "... jamais il n'accepta d'être mêlé aux mouvements ou associations de défense des homosexuels en France comme ailleurs. Ce n'était pas son combat. Seule la Palestine l'occupait, au point que plus rien d'autre n'existait."

Tombe de J Genet au Maroc
Jean Genet n'est jamais là où l'on pourrait l'attendre, éternel insoumis, quelque peu revanchard et se plaisant à se moquer de la France de Giscard d'Estaing ou de la France fille aînée de l'Eglise, celle sans doute de l'hypocrisie et celle qui l'avait mis en prison, le marquant à jamais, et qui avait fait mourir tant de beaux garçons autour de lui, comme Maurice Pilorge à qui il dédia son poème le condamné à mort.


Savait-il uniquement utiliser les gens? Etait-il capable de reconnaissance et d'amitié? On serait tenter de dire oui et non, tellement son image échappe à toute définition, Tahar Ben Jelloun, le citant, donne déjà un début d'explication à la "Genet", avec en filigrane le goût de la trahison en prime : "Amitié, fraternité, solidarité... ce sont des mots, c'est de la blague; ça ne veut rien dire, seul l'amour a un sens, le reste ce n'est que généralité et blabla."
Maurice Pilorge condamné à mort et à qui Genet dédia son poème

Pour conclure que rajouter, si ce n'est que cet homme si libre a voulu se faire enterrer hors de France qu'il n'aimait pas, au Maroc, dans un coin de terre d'un cimetière espagnol face à la mer, et qu'il garda au fond de lui toute sa vie une notion hors norme, comme enracinée et semblant provenir tout droit de la culture grecque classique, à savoir : "Seul ce qui est vrai est beau, et si une chose est belle c'est parce qu'elle est vraie".

Cocteau, dessin extrait du Livre Blanc
Cité dans ce billet :

 

 
Notes :

Si vous habitez Nice ou le 06 vous trouverez à la Librairie Masséna à Nice, au début de la rue Gioffredo, un stand consacré aux livres de Genet et tous les conseils d'un vrai libraire. Site : la librairie Masséna Nice

Sur Genet : article Wikipedia

Sur Tahar Ben Jelloun : site de l'écrivain Tahar Ben Jelloun

Hélène Martin chante le condamné à mort : vidéo sur Youtube

Etienne Daho chante le condamné à mort : vidéo sur Youtube









1 commentaire:

  1. Quatre heures à Chatila de Jean Genêt : https://www.youtube.com/watch?v=G8K4Xwdz03U

    RépondreSupprimer