« Ticket d’entrée »… aux enfers !


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J'ai écrit cet article avant que l'affaire du plagiat autour de "Ticket d'entrée" ne touche Joseph Macé-Scaron dans le courant de l'été 2011, il va sans dire que cela m'a beaucoup déçu et ne correspond pas à l'idée que je me fais d'un auteur. Pour moi il n'existe pas d'intertextualité comptatible avec un emprunt de plusieurs pages...  

En littérature, l'authenticité est la seule vérité que l'on doit à ses lecteurs. Il est bien dommage de constater que ce "Ticket d'entrée" ressemble désormais à un "Ticket de sortie". 

Ceci dit vous trouverez mon article ci-dessous.


« La lecture est une amitié » Proust
Quelle galerie de personnages dépeinte avec humour, férocité et vitriol ! Un peu comme si Joseph Macé-Scaron captait avec sa caméra-stylo les « caractères » de son univers de journaliste, de journaliste connu et reconnu, n’oubliant rien des poses, attitudes, tics, et psychologies de la faune politico-médiatique qui l’entoure. Même si le personnage central est baptisé « Benjamin Strada » on comprend qu’il y a beaucoup de l’auteur lui-même dans ce portrait tant au niveau personnel que professionnel.

La peinture d’un certain monde de l’information, enchaîné au monde politique, ne peut que révulser nos naïfs contemporains, vu les hommes d’argent et de pouvoir, sans foi ni loi, que l’on y croise et qui gangrènent (dans le livre comme dans le réel) notre société, manipulant autant leurs employés que leur public, ici via la presse. La récente affaire Murdoch en Angleterre l’illustre à merveille !

C’est cependant avec courage et l’œil quasiment d’un médecin légiste, car l’auteur (comme son héros) fait partie de l’establishment, que tout ce scandale « au quotidien » est abordé, nous laissant entrevoir un univers de pressions et d’oppressions qui se met à ressembler aux vieux totalitarismes d’antan ; ce cadavre n’est toujours pas mort... JMS joue en quelque sorte le rôle d’un avocat, un « Fred Perry Mason »(1), si vous me permettez ce jeu de mots, vu le goût des polos de la marque « Fred Perry » portés par l’auteur (voir page 271), écrivant un réquisitoire étonnant, sarcastique et plein de verve contre ces deux machines infernales d’aujourd’hui qu’il connaît bien : la presse bâillonnée et le monde gay aliénant.

C’est en effet avec le même courage qu’il analyse et dépeint le monde gay dans lequel évolue le héros, car Benjamin Strada est gay. Espace étriqué et agité de convulsions stéréotypées, qui forment autant d’impasses que d’illusions. Ce microcosme homo ne laisse pas meilleure impression que le monde professionnel. On y croise des personnages plus intéressés qu’intéressants, obnubilés par leur physique, la seule ligne de conduite étant celle de la coke. Sexe facile et direct, personnages interchangeables sans profondeur ni humanité, on est conduit dans tous les lieux communs de la vie homosexuelle telle qu’elle semble ancrée à jamais dans le ciment des gay-prides, du tourisme gay, des physiques à la mode, des vêtements branchés, de la baise sans amour et des couples éphémères, donc sans avenir…

Il manque à ce petit monde étouffant un vrai « miroir », non le regard d’un égotisme mêlé de l’ardent désir d’écraser les autres comme celui de tant de gays de notre époque qui dans la vie comme dans les sex-clubs appliquent le « pousse toi de là que je m’y mette », mais un honnête miroir laissant paraître le vrai visage de ces monstrueux « Dorian Gray » qui ne perçoivent méchamment et uniquement que chez leurs interlocuteurs les imperfections physiques, les griffes du temps et les cicatrices de la vie.

Face à ce bouillon d’inculture, ceux qui bravent les règles de ce monde infernal et gardent encore un peu de clairvoyance semblent condamnés à revivre toujours la même histoire, à écrire toujours les mêmes mots, à attendre toujours les mêmes gestes et les mêmes sentiments qui ne viennent pas. C’est notre tonneau des « Gaynaïdes », ou notre mythe de Sisyphe gay : toujours vivre la même histoire en boucle : drague, rencontre, échange, sexe, drogue à l’occasion pour certains, questions, et fatale conclusion…J’y perçois, à moins que je n’y aie trop projeté de mes propres déductions, une énorme lassitude et aussi sans doute une non moins importante frustration… « J’avalais d’énormes quantités de nourriture insipide simplement parce que mon assiette était pleine »

Tout le monde trompe tout le monde, d’abord sans doute ces hommes gays par rapport à eux-mêmes et puis les uns envers les autres, formant un indescriptible méli-mélo de relations à dénouer sans cesse. Mais que reste-t-il une fois que la pelote est ôtée de tous ses « nœuds » ? Et bien pas grand-chose, car l’univers dépeint n’offre guère d’évasion et de perspective jouissive. Sauf peut-être par le leitmotiv qui court dans tout le livre, celui d’une passion liée à un auteur et à son œuvre : « A la recherche du temps perdu » de Proust !

C’est un peu à la recherche de soi (et non de Swann) que JMS part dans ce livre qui semble être une forme de bilan et de constat alarmant du monde dans lequel nous vivons et dont les bases démocratiques s’enfoncent dans la boue des marais politico-financiers ; comme par ailleurs les bases et identités gays semblent s’engluer dans tous les « Marais » des capitales européennes.

La question de l’identité m’apparaît déterminante dans ce livre : identité en tant qu’homme de sensibilité homosexuelle et identité en tant que journaliste. La question de l’identité c’est également celle du sens, et c’est peut-être d’abord le sens que l’on veut donner à sa vie qui détermine en fait notre identité et liberté.

Identité, authenticité, sens manquent cruellement à l’univers décrit. Ici la compensation se réalise en s’abandonnant à l’univers proustien, comme pour d’autres « racines et terroir » jouent le rôle de rempart ultime et d’unité de l’individu. Ce qui est intéressant, c’est que le ressourcement pour le protagoniste est « littéraire » et que son imagination puisse arriver à se connecter, se sauver et se renouveler à travers la force créatrice d’un écrivain au-delà du temps.

Pour revenir au côté « professionnel », un des grands points forts du roman est ce que j’appellerai le « dîner avec le diable ». Ici, les personnages de fiction et de papier, élaborés comme chez Proust de plusieurs personnages réels, font place à des personnages bien connus de tous, il en ressort un sentiment d’angoisse sur ce qui est « dénoncé » à savoir la dérive et la main-mise du monde politico-financier sur une des clefs de la vie démocratique : l’information.

C’est un « Ticket d’entrée » aux enfers, mais dans une version offenbachienne, vu la galerie de "bouffons" épinglés dans ce roman !

Il ne faut donc pas manquer « Ticket d’entrée », car c’est un livre de lucidité, tissé de confidences sans concession, de réflexions drôles, ironiques, laissant apparaître les traits d’un homme sincère et idéaliste, de portraits acides sur la faune de la sphère professionnelle journalistique et privée, et de recherche d’une identité perdue. Pour tout cela, « Ticket d’entrée » procure un vrai plaisir de lecture qui s’enrichit en écho de toutes les pensées qu’il nous invite à creuser à notre tour sur le monde de l’information, le microcosme gay et tout simplement nous-mêmes, de quelque sensibilité que nous puissions être.

Saluons aussi le beau florilège de citations qui ne lasse pas de séduire et de nous faire réfléchir. En effet une citation bien trouvée commence chaque chapitre, ce qui met en quelque sorte la barre du roman à ces hauteurs de vue.

En clin d’œil final, je ne résiste pas au plaisir de replacer à mon tout la savoureuse remarque de Georges Bernard Show, cité par JMS  : « Journal : institution incapable de faire une différence entre un accident de bicyclette et l’effondrement de la civilisation. ».


Cité dans ce billet :

 
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Notes :

1 =
Ligne de vêtements “Fred Perry” : site Internet

Perry Mason : célèbre série américaine des années 60/80 voir article Wikipedia

Sur la polémique relatif aux "emprunts" du livre : article sur e-illico.com



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