PEAU DE ZOB ou "LA PIEL QUE HABITO" film de PEDRO ALMODOVAR


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Les informations alarmantes sur la "violence sexuelle" prennent de plus en plus de place dans nos vieilles sociétés : les faits divers rapportés par les médias font frémir, comme les séquestrations sur des dizaines d'années ou l'incroyable déchainement de fureur des assassins face à leur victime.

Là dessus se pose immanquablement les questions de la prévention et surtout celle du châtiment quand le ou les coupables sont arrêtés. Combien de temps vont-ils rester en prison? Peut-il y avoir une sortie de prison anticipée? Le jeu des remises de peine peut-il les concerner? Que faire avec les récidivistes? etc.

Cette violence au quotidien, devenue presque banale, qu'elle soit sexuelle ou crapuleuse, a fasciné les écrivains et les cinéastes ! Ainsi se sont développées des oeuvres en nombre impressionnant depuis un siècle : Conan Doyle, Agatha Christie, Georges Simenon, Alfred Hitchcock en restent les plus beaux fleurons et symboles, sans compter les mille et une séries télévisées qui se nourrissent de cette soif du crime, du juridique et des criminels...

Dans ces derniers cas c'est peut-être une forme de "catharsis" touchant via la télévision des millions de gens, car justement le criminel est toujours découvert dans ces oeuvres de fiction, à l'inverse de la réalité où les "petites cellules grises" des professionnels luttant contre le crime sont souvent bien insuffisantes pour établir les faits et arrêter les coupables.

Catharsis d'autant plus appuyée quand il s'agit d'une série comme "Dexter" où le héros est un "noble" criminel, et nous sert en quelque sorte de défouloir, car il ne tue que les méchants ! Une sorte de Zorro ou Batman ou Spiderman plus jusqu'auboutiste en quelque sorte et sans costume particulier...

Pedro Almodovar avec "La piel que habito" livre un nouveau film qui ne peut laisser indifférent parce qu'il soulève un grand nombre de questions et nous met mal à l'aise devant l'enchaînement des mécanismes psychologiques mis en oeuvre.

Un chirurgien, joué par Antonio Banderas, avec sa fille, fragile mentalement, assiste à une soirée. Cette fille et un jeune homme se sont remarqués dans l'assemblée et sortent dans le parc flirter. La scène capitale qui suit entre les deux jeunes gens ne ressemble pas vraiment à un viol, mais plutôt à un moment d'incompréhension et de peur réciproque.

Le personnage de Vincente au bal...maudit...

Pourtant, le père va croire à un viol en récupérant sa fille allongée au pied d'un arbre et en voyant le jeune homme fuir. La jeune fille, qui à la personnalité déjà vascillante, va s'enfermer dans son monde et finira par se suicider. On peut supposer toutefois, qu'il y ait eu cet incident ou non, que le personnage se serait suicidé de même, le suicide apparaissant comme le but secret et inévitable de ces êtres fragiles, quel que soit le motif déclencheur quand on en trouve un.

N'ayant pas assisté à la fameuse scène entre sa fille et ce jeune homme, le père interprète les indices trouvés comme des preuves du viol. Sa fille se retranchant du monde il ne peut pas non plus avoir avec elle d'explication. Quand il enlève et enchaîne le jeune homme (Vincente) il ne cherche pas non plus à savoir les circonstances exactes de ce qui s'est passé, il n'y a nul dialogue et les questions effrayées du jeune homme tombent dans le vide. Le père ne parle pour ainsi dire jamais. Le rôle de justicier est ici un rôle muet, il faut dire que toute cette histoire est plus que périlleuse car la haine empêche toute forme de réflexion ou de remise en cause et emmure l'esprit dans une "vérité" qui devient une obsession et une idée fixe.
L'équipe du film au festival de Cannes 2011

Le châtiment du jeune homme sera une vaginoplastie! Ce n'est plus ici la Loi du Talion mais une vengeance exponentielle qui traduit la folie, la férocité et le mal être du soi-disant justicier... Le Pauvre Vincente va devenir Vera. Je souligne au passage que ce prénom signifie "foi" et effectivement ce personnage va garder sa foi jusqu'au bout puisqu'il arrivera à se libérer.

En français comme en espagnol "Vera" fait penser au mot "verrat" (porc) et "verraco" (par apocope), ce qui n'est sans doute pas gratuit car il ne faut pas perdre de vue que le chirurgien travaille à une nouvelle création de peau artificielle pour les grands brûlés obtenue par manipulation génétique entre des cellules humaines et des cellules de cochon... Transgénèse interdite d'ailleurs par le code déontologique de la bioéthique semble dire un autre personnage du film (?), mais bon à ce niveau les lois sont souvent dépassées avant que d'apparaître et des coeurs de baboin ont bien été à une époque transplantés sur des humains...

Une des idées clefs de ce film c'est la fascination de l'image: la haine du chirurgien se mue en attirance quand l'image de la femme efface progressivement l'image du jeune homme, et vient peut-être rappeler en plus l'image de sa fille ! A côté des crimes et perversions en tout genre, le dernier volet du triptyque moderne qui caractérise nos sociétés est montré avec ostentation : culte est rendu à l'image capable de changer l'insipide en passion, la haine en amour, l'eau en vin en quelque sorte !
Mythique image de Vénus par Botticelli

Le film manque cependant de clarté. On a un peu de mal à reformer l'ensemble du puzzle de cette histoire et on comprend moyennement qu'il y a eu une rencontre avec le demi-frère du chirurgien et Véra, et que cette dernière, en plus des tranformations infligées à son corps, a eu un accident de voiture et s'est retrouvée gravement brûlée. Le chirurgien créant une nouvelle peau à cette occasion, d'où le nom du film.

Tous ces rebondissements laissent rêveur quant au calvaire physique, moral et psychologique de ce personnage sequesté et métamorphosé en femme.

Le vrai monstre dans tout ce film c'est bien le chirurgien-fou qui comme le docteur Moreau (cf "L'île du Docteur Moreau") capture ses victimes et en fait ses cobayes.

Ces personnages de "créateurs" foisonnent en littérature, on en trouve en effet un grand nombre qui, ayant perdu la raison, sont devenus amoureux de leur créature; ici la règle est respectée. Le chirurgien est subjugué par Véra au point d'imaginer d'en faire sa compagne.
le chirurgien admirant sa créature sur un écran géant !

Ce film à l'atmosphère étouffante dépeint une peau de chagrin affligeante, celle de la liberté et de la justice, au profit d'une monstrueuse montée de haine et de perversion, dominée par la déesse IMAGE qui peut tout modifier. C'est en quelque sorte le conte de "Peau d'âne" inversé de notre XXI°s. ou une peau inhumaine habille nos fantasmes... de plus ici c'est une peau de zob que l'on pert : le crime sexuel fige et castre à la fois.

Antonio Banderas avait joué plus anciennement dans un autre film d'Almodovar "Attache-moi", à croire que le réalisateur voit en lui le prototype d'un séquestreur idéal...

Antonio Bandeiras

Cité dans ce billet :


Notes :






2 commentaires:

  1. bonjour, je trouve votre analyse fine et pertinente. C'est vrai qu'il bp de rebondissements et que l on ne sait plus quoi penser à la fin mais tout de m^me, il m a scotché sur ma chaise. c'est l un des rares films que j'ai été voir cette année.
    cordialement
    virginie
    http://mylittlewritingcorner.blogs.letelegramme.com/

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