Picasso, le grand patchwork du monde...


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Pablo Picasso dans sa jeunesse
"Mais si la robe détachée aux épaules tombe au fond de la mare comme une pierre et brise la vitre du dessin le ressort de la montre lui saute aux yeux et l'aveugle et l'abandonne aux mains du bourreau" - extrait d’un poème de Picasso, mai 1936
 
Cet été 2013 à Monaco, une exposition sur Pablo Picasso m'a permis de me replonger dans l'univers de ce créateur protéiforme, qui a si profondément marqué la vie artistique et culturelle de la Côte d'Azur.
 
Il est devenu aussi inséparable de Matisse, puisque les deux peintres semblent s'être, par toiles interposées, lancés quelques défis ou quelques dialogues de thèmes, de traits et de couleurs, dont les échos arrivent encore jusqu'à nous...
Détail d'un tableau de Picasso
Le moins que l'on puisse dire c'est qu'ils ne peuvent ni l'un ni l'autre laisser indifférent, j'ai parlé de Matisse dans un précédent article où j'ai senti le besoin d'utiliser des poèmes, pour l'approcher lui le chantre de la couleur et du printemps, et pour arriver à mieux le cerner dans son monde magique et délicieusement poétique, il me restait à parler de Picasso, l'immense Picasso des "Demoiselles d'Avignon" et de "Guernica", celui qui, d'une toile, d'une glaise, ou d'un bloc de pierre, a su créer de mythiques figures contemporaines.
 
Le nombre cependant d'articles et d'ouvrages qui lui sont consacrés auraient pu me détourner de ce challenge, toutefois il m'a semblé à travers une intuition que j'ai eu lors de cette visite à Monaco, qu'il y avait peut être encore quelque chose à dire ou à signaler.
Détail d'un tableau de Picasso
Dans l'histoire de la peinture il m'a toujours paru évident que les peintres ont voulu affirmer leur maitrise et leur habileté à travers des thèmes qui mettaient en relief les tissus et les ornements. Ainsi, à la justesse de la représentation d'un corps, d'un regard, d'une chevelure, qui pouvait asseoir leur génie, est venu se greffer le besoin de rendre palpable les étoffes, les soies, les velours, les dentelles et les colifichets qui les accompagnent. Toute la peinture pourrait se retrouver dans un grand catalogue de vêtements et de tissus au mètre, avec le rayon Vélasquez, le rayon Simon Vouet, le rayon Rubens, le rayon Boucher, le rayon Fragonard, le rayon Delacroix par exemple...
 
Tableau de Rubens
Et justement, parlant tissu, certains tableaux de Picasso, à y regarder de près, me rappellent la technique du patchwork ! Comme si l'artiste avait disposé de je ne sais quelle image-tissu mentale pour en découper à plat les formes géométriques et les arrondis recherchés. Picasso a joué sur les couleurs, tout en gardant une unité de tons, sur les imprimés comme sur les textures unies, et au final il nous donne à voir ce travail de petite main et une âme de facétieux pasticheur.
 
A l'époque classique les tissus formaient déjà d'étonnantes masses de couleurs qui équilibraient tel tableau, qui ouvraient tel espace ou qui donnaient une indication sur le sens profond d'un personnage ou d'une œuvre, puisque les couleurs ont eu très tôt un rôle symbolique à tenir: rouge royal et divin, rose miraculeux et mystique, bleu d'infini, vert d'espoir ou de mort etc.
 
Tableau de Simon Vouet
Ces zones de couleurs, si on les sépare mentalement du reste de certaines compositions, forment d'ailleurs les premières masses abstraites colorées de l'histoire de la peinture... Je note aussi que dans les poèmes de Picasso le champ sémantique relevant des tissus et de la couture est intéressant à souligner.
détail d'un tableau de Picasso
La plupart de l'oeuvre de Picasso s'inscrit dans le jeu de l'intericonicité ou si l'on préfère de ce dialogue, parfois brutal, entre les tableaux célèbres et leur réinterprétation par notre peintre, entre donc des caractères forts : Picasso d'un coté et Velasquez, Greco, Manet, Delacroix, etc. de l'autre! Bref, un dialogue ou une réplique cinglante vers ceux qui l'ont fasciné et interpellé, jusqu'au besoin de créer à nouveau dans leur sillage. Ce jeu de la variation, qui se pratique aussi en musique, permet de partir d'une idée connue et d'en décliner les représentations dans un univers coloré, différemment rythmé, et ici caricatural dans le sens où le poète-peintre Picasso les "charge" de sa vison révolutionnaire du monde.
détail d'un tableau de Picasso
Natures mortes, portraits, scènes intérieures ou extérieures comme "Les Femmes d'Alger dans leur appartement" de Delacroix ou "Le déjeuner sur l'herbe" de Manet, tout lui ressert à créer son œuvre. Son originalité est dans le jeu de miroir déformant qu'il applique sur ces références, une sorte de rayon x qui en ferait ressortir les méandres profonds, les cassures, les images totémiques et l'esprit presque violé dans sa redécouverte.
Les femmes d'Alger, tableau de Delacroix
Ce fil d'Ariane est autant indispensable à sa création qu'il est stimulant pour son public, il incite à réfléchir, à se remémorer, à engager un jeu de va et vient mental entre le connu, reconnu et sanctifié et le nouveau modèle iconoclaste, ironique, dévoyeur comme le pourrait être un diable dionysien auprès de son maitre.
 
Ce touche à tout a tout essayé : les couleurs flottantes indépendantes du dessin, comme si les deux se déplaçaient à distance à la manière de Fernand Léger, les approches cubistes, les personnages lourds et sculpturaux comme des caricatures d'un académisme mourant, des œuvres diluées dans la fin d'un impressionnisme de salon, des figurations abstraites...Tout pour ne servir qu'une seule idée celle d'un monde recomposé à travers des lambeaux d'images, des coupures de toiles, des dessins échoués, des tessons de couleurs...un monde repensé en patchwork !
 
détail d'un  tableau de Picasso
 
Diaporama œuvres de Pablo Picasso : diaporama Google
Notes:


Livres :
 
Picasso poèmes et propos, Bernard Ascal, 2013
Picasso Côte d'Azur, Grimaldi Forum, Hasan, 2013

2 commentaires:

  1. Quel bel article et quelle approche originale déjà dans le titre "Picasso le grand patchwork du monde".
    J'aime ta façon de nous parler de ton ressenti, de tes émotions nées de ta dernière visite des oeuvres "de ce maitre unique.
    Ce grand catalogue de vêtements et de tissus" nous invite à la présentation d'une rentrée de Collection de Prêt à Porter et surtout de Haute Couture.
    Et comme les grands couturiers s'inspirent des maitres passés, Picasso aussi, s'en joue et s'en délecte.
    Tu as raison de souligner l'intericonicité qui n'est pas une copie, un pastiche et encore moins une parodie. C'est une réinterpréatation pour mieux mettre en lumière, la spécificité élaborée de sa propre création à partir d'un même thème ou sujet. "tout lui ressert à créer son oeuvre. Son originalité est dans le jeu des miroirs déformant..." Et il est exigent. N'a-t-il pas exécuté plus de 40 versions des Ménines de Vélasquez jusqu'à trouver sa véritable réinterpréation .
    Tu as réussi, Jean Louis, à nous entrainer, comme tu le dis si bien "à engager un jeu de va et vient mental entre le connu, reconnu, et sanctifié et le nouveau modèle iconoclaste..."
    Vraiment tu as été bien inspiré de voir qu'il y avait encore "quelque chose à dire ou à signaler" de cette visite à Monaco...et le challenge est de nouveau relevé par le critique d'art niçois.
    Picasso disait "Au fond, ce qui est le plus terrible pour un peintre, c'est la toile blanche".
    Pour le poète ou l'écrivain, c'est la feuille blanche. Mais toi, tu ne laisses jamais une feuille blanche.

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  2. Je n'arrive pas à signer, il me ressort "anonyme" mais sans doute me reconnaitras-tu !

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