Jardins et Impressionnisme


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Monet

Plus que tout autre courant de peinture, l’impressionnisme a renoué avec la terre, les fleurs, le soleil et la mer. Fi des scènes mythologiques ou de guerre, des portraits alanguis, ce qui séduisait, comme ce qui a séduit une bonne partie de l’Europe à la moitié du XIX°s c’est un retour à la nature! Une nature qui devenait le seul prétexte d’un tableau, où les personnages n’étaient que facultatifs ou improbables, une nature enfin retrouvée, un paradis reconquis en fleurs et sensations de paix, loin du tumulte des débuts de l’ère industrielle.


Paradoxalement, au moment où commençait cette transformation du monde en profondeur, le goût d’une nature souveraine et paisible s’est fait ardemment ressentir, et pas seulement à travers la peinture comme l’attestent les courants «naturistes» ou «gymnosophiques» en France, en Allemagne et ailleurs, mais aussi dans le courant très révélateur «Art & Crafts», et qui en a inspiré tant d’autres!

Manguin



L’arrière plan dédié à la nature dans les tableaux anciens, trop souvent anecdotique, schématisé, idéalisé, furtif, a lentement pris le pas au fil des siècles sur toutes les autres considérations. Se libérant également de la «hiérarchie des genres», les peintres ont fini dans la seconde moitié du XIX°s. de s’affranchir de tout pour ne considérer que leur vision du monde et ce goût des formes et des couleurs, une autre philosophie s‘annonçait!


Dans le passé, on avait bien les magnifiques tableaux de bouquets de la peinture hollandaise vers le XV°s. et XVI°s., mais ils représentaient plus une forme de richesse ostentatoire pour ceux qui possédaient ces plantes rares, dont les fameuses tulipes, leurs bulbes s’échangeaient à l’époque à prix d’or! Une «vanité» florale en quelque sorte, où l’artiste rivalisait déjà avec la Nature ou la chargeait de différents symboles. On avait bien aussi les tableaux de Poussin par exemple ou les escapades coquines dans une nature de fond théâtral proposées par les peintres de la fin du XVII°s. et du XVIII°s., tels Fragonard ou Boucher, mais ce n’était pas encore une nature pour elle-même, plutôt une évocation ou une recréation fantaisiste.

Morisot

Déjà avec la reine Marie-Antoinette on avait pu voir émerger, fin XVIII°s., le premier parc d’attractions privé des temps modernes avec son «Hameau», comme une enclave dans le Château de Versailles. Ce fut certes un village idéal, mais bien coupé du monde! Cependant, il a fallu attendre le XIX°s. avec au départ Corot, puis Cézanne, Renoir, Monet et tant d’autres, pour ouvrir cette nouvelle voie de la Nature et des jardins, pour sortir des ateliers d’artistes et se confronter aux formes, aux couleurs, aux lumières et à la vie tout simplement!

On remarquera que, du XVIII°s. et durant tout le XIX°s. et début du XX°s., le «jardin à l’anglaise» a fasciné le monde occidental et a permis d’extraordinaires émulations et diversités créatives grâce aux découvertes des botanistes partout dans le monde et aux échanges commerciaux qui allaient s’établir de façon pérenne. On a pu ainsi importer des plantes, des fleurs et des essences rares. A cette époque, nombreux furent les riches propriétaires, notamment en Angleterre, qui renouvelèrent ainsi le goût des jardins, les agrémentant de plantes et d’arbres rares, et qui ont su trouver, face aux spectaculaires et symétriques parcs à la française, hérités de Le Nôtre, ouvrant des perspectives et des plans d’eau parfaits, des espaces plus compatibles avec l’idée moderne d’une Nature «réelle»! Bien entendu, cette «Nature» était encore re-imaginée à la manière des peintres avec l’idée de créer des perspectives ou points de vue dont on pouvait tirer profit esthétiquement.

Redon

C’était un jardin à la manière du rendu de la toile d’un peintre, et une Nature plus concentrée en plantes et essences diverses, qui souvent se répartissaient savamment par thématiques et par couleurs! Gertrude Jekyll, notamment, a ouvert la voie au XIX°s. à la passion de ces jardins repensés et redessinés, mais dans le fond très bien organisés, qui donnèrent ainsi l’impression d’une liberté toute naturelle!

Les prouesses au niveau du verre et du métal ont permis également au XIX°s. la création de serres grandioses pour conserver et montrer des plantes exotiques. En Angleterre comme en France on a gardé ces témoignages somptueux, mariant maîtrise de l’art et délicatesse des plantes exposées! Ces écrins devenaient une sorte d’aparté édénique hors du temps et de l’espace, mariant le plus sauvage aspect de la Nature et les plus inaccessibles variétés de plantes aux prouesses de la technique humaine!

Frieseke

Ce goût des jardins a annoncé ce que la peinture allait réaliser dès les premières décennies du XIX°s.; il y a eu en quelque sorte une expérience physique réelle, un besoin de renouer avec la terre, et de fuir une certaine forme de civilisation qui commençait à devenir oppressante, vu l’augmentation du nombre d’habitants des grandes villes, l’anonymat, la solitude froide et l’uniformité qui se mettaient en plac; la conscience d’un «spleen» tout Baudelairien en quelque sorte. Devant cela, on a voulu se projeter dans une Nature idéale et bienfaisante, repensée et réécrite, puisque des plantes qui ne se seraient jamais croisées, vu leurs origines, se sont confondues dans ces nouveaux jardins.

Les peintres, fuyant leur atelier et à la reconquête du monde extérieur, ont eu ce même sentiment, laissant libre cours à cette recherche de couleurs, de lumière, de paradis perdu, qu’ils restèrent sur le territoire européen ou qu’ils découvrirent d’autres horizons, comme l’Océanie par exemple avec Gauguin.

Le Sidaner

Le Japon a également eu une influence majeure sur les peintres occidentaux, à travers notamment la découverte des estampes (ukiyo-e ou image du monde flottant, notamment par Hiroshige et Hokusai), dans la façon d’évoquer un paysage, des thèmes floraux, des scènes de la vie courante! Ainsi, au cœur de la composition et l’atmosphère même d’une œuvre, s‘établissait un lien secret avec la délicatesse de l’Orient et du Japon. Les tableaux d’Odilon Redon à la fin de sa vie me semblent par exemple illustrer à merveille ce rayonnement du japonisme, dans un monde onirique et impressionniste. Bien sûr, Chine et Japon avaient déjà sensibilisé les artistes européens au XVII°s. et XVIII°s. à travers la diffusion de leurs célèbres céramiques, dont la porcelaine fait partie, avec leurs décors de paysages et de fleurs.


Hiroshige
Hokusai
Combien furent nombreux les peintres, qui amoureux de cet espace idyllique, jardin ou Nature de rêve, ont sensibilisé le public aux charmes de la Nature que chacun certes pouvait côtoyer mais que bien peu avait le temps d’aimer et d’apprécier!

Soulignons de même, que la liste des peintres impressionnistes est «impressionnante» : Frédéric Bazille (1841–1870), Anna Boch (1848–1936), Paul Bocquet (1868-1947), Eugène Boudin (1824-1898), Eva Gonzalès (1849-1883 d’origine monégasque et grande amie de Manet), Gustave Caillebotte (1848–1894), Mary Cassatt (1844–1926 d'origine américaine), Paul Cézanne (1839–1906), Edgar Degas (1834–1917), Armand Guillaumin (1841-1927), Max Liebermann (1847–1937 d’origine allemande), Édouard Manet (1832-1883), Claude Monet (1840–1926), Berthe Morisot (1841–1895), Camille Pissarro (1830–1903), Pierre-Auguste Renoir (1841–1919), Théo van Rysselberghe (1862-1926 d’origine belge), Georges Seurat (1859-1891), Joaquín Sorolla y Bastida (1863-1923 d’origine espagnole), Alfred Sisley (1839–1899 d’origine anglaise et français d’adoption) - (liste Wikipedia - Impressionnisme). A cela il faut ajouter également la liste des peintres impressionnistes américains, assez peu connus en France malheureusement, qui est elle aussi autant impressionnante que passionnante à découvrir…D'autres peintres dans le monde ont emprunté de même cette voie de la fascination et des rendus impressionnistes; des courants comme le pointillisme lui sont associés (néo-impressionnisme).

Pissarro

A ces peintres, j’ajouterai pour ma part, avant et après les principales années de ce courant : Corot, Le Sidaner, Bonnard, Manguin, Signac, Van Gogh, Sérusier et tant d’autres ! Tous ces peintres vont en effet sur presque un siècle bouleverser notre vision de la Nature et nous faire réfléchir, chacun suivant sa technique et sa «modélisation» du monde si j’ose dire, à notre place dans l’univers!

A noter que le plus célèbre des jardins de peintre fut sans nul doute celui de Monet qui, dès 1883, fit réaliser à Giverny un espace floral unique, comme une «palette» à ciel ouvert aux notes orientales et surchargée de fleurs! Que ce soit à travers les immenses panneaux des «Nymphéas» comme dans les toiles révélant les splendeurs de ce jardin, il est et restera le «Prince» de cette Nature ainsi révélée et magnifiée, car il a su mieux que quiconque «cultiver son jardin» et ouvrir cet espace philosophique et lumineux au fond de nos regards.

Metcalf
 

NOTES :

Sur le «Naturisme» :Wikipédia

Sur «Arts&Crafts» : Wikipédia

Sur Gertrude Jekyll : Wikipédia

Sur les estampes japonaises - ukiyo-e : Wikipédia


Un exemple sur les serres (Auteuil) : Wikipédia

Les impressionnistes américains : Wikipédia

3 commentaires:

  1. Jean-Louis, comme toujours c'est un vrai bonheur de venir en ton jardin ! Pour la Beauté et les connaissances que tu nous offres avec élégance et passion. Merci !!

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  2. Encore une belle étude du poète niçois JLG qui prend ici sa plume d’historien d’art pour nous amener à voir la peinture impressionniste et l’art des jardins reconquis dans une nature libérée, sentie et « réelle » . Une étude sérieuse (JLG a toujours une profonde connaissance de son sujet), un style épuré et délicat, une approche sensible, nous invitent à découvrir comment les peintres sont sortis de leur atelier pour aller « cultiver leur jardin ». Nous sommes tous invités à nous promener, sans tabou, dans les allées fleuries et odorantes des jardins, qu’ils soient à la française, anglais ou japonais. A-t- on oublié les impressionnistes américains ? Jean Louis nous rappelle que la liste est aussi impressionnante que celle de nos peintres français. Oui JLG nous incite à aller toujours plus loin dans l’étude et la culture nécessaires pour comprendre notre propre réalité intérieure. Au travers de ces peintres de la nature, de l’eau, de l’air, indispensables à la vie, qui ont pu chanter la création, JLG nous amène à réfléchir sur notre propre place dans l’univers. MFZ

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  3. on ne peut se lasser malgré les années qui passent de visiter les poètes, et de passer un beau moment au milieu des fleurs et de ta poésie,
    merci Jean-Louis
    Danièle

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