Les peintres «couturiers»! Réflexions personnelles autour de certains peintres, dont Bonnard et Klimt.


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Œuvre de Gustave Klimt
 
Pendant longtemps, certains peintres, notamment ceux qui ont succédé à la période impressionniste, m’ont intrigué! Comment les aborder, car les étiquettes qu’on a pu leur coller, ou qu’ils se sont collés eux-mêmes, n’ont peut-être jamais recouvert toute l’étendue de leurs spécificités et de leur originalité; et en plus paradoxalement, en matière «d’école», on a toujours tendance, sous l’alibi d’un mot, à ne parler en fait que d’un seul peintre en oubliant tous les autres...

En effet, ces différentes «écoles» ont offert de si larges perspectives à chacun de ces créateurs, qu’il en est allé de ces courants comme des avancées de la science : des mondes totalement nouveaux se sont fait jour, et des mondes inexplorés aussi! Sans vouloir coller de nouvelles étiquettes sur ces peintres, car notre pays est trop enclin à étiqueter les hommes et les courants, comme un entomologiste sa collection d’insectes morts, j’ai eu le sentiment que certains d’entre eux, et non des moindres, considéraient la toile comme un «tissu» et l’utilisaient pour habiller leur rêve ou leur rêverie!

Tableaux de Bonnard
A la fin du XIX°s, le monde de la peinture, qui traduisait fidèlement la réalité, a laissé progressivement la place aux multiples lectures du monde que l’on connait depuis. Plus que des écoles ce sont des expériences personnelles qui en fin de compte ont marqué l’histoire de la peinture: celle de Kandinsky, de Picasso, de Warhol… Mais que l’on parte des derniers feux de l’impressionnisme jusqu’au Pop Art, pour arriver à la jungle des représentations d’aujourd’hui, où tout semble coexister et s’interpénétrer, il reste toujours une peinture, qu’elle soit réalisée avec des tubes de couleurs ou des palettes virtuelles, que l’on peut approcher comme on approcherait le monde de la grande couture.

Prenons l’exemple de Bonnard, prenons également celui de Klimt, a priori très loin l’un de l’autre, nous pourrions aussi parler de Matisse, de Klee ou de Mondrian, leurs œuvres ne sont elles pas conçues comme une étoffe réalisée de différents imprimés? Un Patchwork d’impressions diverses me semble envahir leur tableau et habiller ce sentiment de bonheur et de perfection perdue!

Œuvre de Bonnard
Tissu ou tapisserie? Coupon soyeux ou rêche? Simple ou sophistiqué? Imprimé ou lisse? N’y a-t-il pas une évocation de quelques couches de pétales se superposant, se mêlant, se brouillant, s’éclairant, comme le feraient des grappes de fleurs ou quelques chatoiements de soieries? Ne serait-ce pas la dernière résurgence d’un orientalisme qui se serait attaché aux détails d’un luxe inatteignable et d’une voluptueuse sophistication d’éléments tactiles et visuels? De même, la vogue du néo-byzantin et des images quasiment iconiques ou dignes des plus belles mosaïques anciennes, se prolonge dans certaines œuvres de l’art Nouveau.



Ceux qui décorent aujourd’hui des meubles: table de nuit, commode, etc. en reproduisant des tableaux de Klimt et d’autres peintres, ne s’y trompent peut-être pas quand ils utilisent ces œuvres comme le tapissier qui déploie de lourds tissus chamarrés pour couvrir des fauteuils d’époque! On trouve d’ailleurs un déluge d’objets d’ameublement et d’ustensiles quotidiens, gobelets, tasses, coussins etc. réalisés avec des détails des tableaux de Gustav Klimt! Et que dire des foulards souvent inspirés par ces mêmes tableaux et par tant d’autres peintres!

Je me rappelle également les robes d’Yves Saint Laurent, inspirées de Mondrian (1965), de Van Gogh (1988), de Picasso (1979), de Matisse (1981), du cubisme et de l’impressionnisme (1988), du Pop Art (1966) etc. D’autres créateurs de mode ont également invoqué de prestigieux peintres dans la réalisation de leurs collections!

Yves Saint Laurent
Pour ce qui est de la peinture, voir et découvrir une exposition de ces œuvres c’est comme s’enrouler dans de grands châles précieux, et porter mentalement les oriflammes de leur inspiration, car leur univers nous entoure, nous livre ses «parfums» de couleurs, ses impressions de vie, sa mélancolie en dégradé de touches, sa recherche d’un moment aussi fuyant que l’éternité!

Pour revenir à nos exemples, les tableaux de Bonnard comme ceux de Klimt, me semblent s’organiser comme un ajustement de différents tissus. Un patchwork qui efface toute perspective, mais la peinture moderne s’en était déjà détachée doucement avec l’avènement de la photographie, pour produire un puzzle presque gourmand où la couleur et la géométrie des formes jouent le rôle que le dessin dans l’illusion de l’espace n’opère plus.

Tableaux de Klimt
Dans ce contexte les personnages semblent plutôt émerger d’une autre dimension, portant comme dans Klimt des habits aux imprimés modernes qui sont déjà la toile elle-même et qui deviendront plus tard avec d’autres peintres l’unique objet du tableau, ou bien se fondre, tels les personnages de Bonnard, dans les couleurs diffuses qui envahissent toute la scène, et qui ne font peut-être de ces images d’humains que des empreintes éphémères d’un lieu hors du temps!




Notes :

 
Pointillisme - après l'impressionnisme
Fauvisme
L'Art Moderne



 

 
 
 
 
 

 

 
 
 




 
 
 
 
 

 


 


 

 






 





 






 






 
 






2 commentaires:

  1. Un article inspiré et précieux ! Tu dois bien sûr connaître le peintre vénitien Fortuny dont le fils je crois était couturier et s'inspirait des peintres pour réaliser ses robes ou peignoirs, Proust en parle à propos d'Albertine.

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  2. Oui, tu as raison d'évoquer ce romancier, on est tout à fait dans cet "esprit" et notamment : "A la façon des décors de Sert, de Bakst et de Benoist, qui, à ce moment, évoquaient dans les ballets russes les époques d'art les plus aimées — à l'aide d'œuvres d'art imprégnées de leur esprit et pourtant originales — ces robes de Fortuny, fidèlement antiques mais puissamment originales, faisaient apparaître comme un décor, avec une plus grande force d'évocation même qu'un décor, puisque le décor restait à imaginer, la Venise tout encombrée d'Orient où elles auraient été portées, dont elles étaient, mieux qu'une relique dans la châsse de Saint-Marc évocatrice du soleil et des turbans environnants, la couleur fragmentée, mystérieuse et complémentaire. " M Proust

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