Les saisons de Chagall : Vitebsk, Paris, Vence, le monde !


(1) commentaires

 
plafond de l'opéra de Paris - photo Internet
 
"Mon rêve sur l’échelle de Jacob

Le tableau longtemps fatigué chante

 
La lumière baisse

Où cacherai-je mes couleurs

 
La dernière joie, le dernier regard

Je monte, je descends vers eux"        Marc Chagall
 
 
L’itinéraire physique de Chagall, comme celui à mon avis de son itinéraire de peintre et de sa réflexion et maturité, sont de longs voyages qui l’amènent à sortir de la nuit, du froid et des paysages tristes de Biélorussie pour aller vers la vie et la lumière.

Au début de sa carrière de peintre il part de Russie, rejoint Paris, expose à Berlin, puis retourne en Russie juste avant la Révolution d’Octobre et la première guerre mondiale ; là il doit y vivre pendant environ 8 ans avant de retrouver définitivement la France. Seule la seconde guerre mondiale l’éloignera pour un temps de son pays d’adoption.

En quelques dates, le parcours d’un artiste qui a vécu 98 ans :
1887 - 1910 (naissance à Liozna en Biélorussie ; il étudie la peinture à St Petersburg à partir de 1906)
1910 – 1914 (à 23 ans il part pour Paris)
1914 (à 27 ans retour en Russie, 1ère guerre mondiale et révolution bolchévique) – 1922 (part à Berlin)
1923 - 1941 (à 36 ans retour à Paris – il fait de nombreux voyages : Europe, Palestine, Egypte etc. entre 1931 et 1939)
1941– 1948 ((2ème guerre mondiale - échappe aux nazis et à 54 ans il part se réfugier aux USA)
1948 – 1985 (à 61 ans retour en France – Vence ; il voyage en Israël, Europe, Japon, URSS entre 1951 et 1977 ; il décède à St Paul de Vence)

En dehors de tous les courants picturaux qu’il a pu rencontrer tout au long de sa vie, car il ne sera jamais ni fauve, ni cubiste, ni abstrait, ni surréaliste, on peut toutefois essayer de situer Chagall dans un courant très personnel entre onirisme et symbolisme, avec une part également de naïveté dans le traitement des personnages et des lieux : une sorte d’Odilon Redon en plus joyeux, qui aurait compris plus tôt que cet auguste peintre le pouvoir de la couleur et le goût du bonheur.

L'univers de Chagall c'est bien sûr celui de la Bible, non pas selon moi du livre religieux en tant que tel, mais des histoires merveilleuses et des créatures qu'il véhicule et qui laissent une impression persistante après une forte exposition, comme un phosphène! Jardin merveilleux, animaux, personnages humains et célestes, tout cela tourne comme un manège étrange, un cirque joyeux qui dépasse ses origines pour aller plus loin dans le début même d'une création poétique qui est le commencement de tout et où tout est Dieu!
détails de tableaux de Chagall - photos JLG
 
Le chandelier a sept branches devient un prisme aux sept couleurs ou une palette-soleil! La musique, musiciens et chanteurs, ont également une large place dans les livres sacrés, pour servir à la célébration de Dieu, de même on retrouve cette idée dans les tableaux de Chagall pour accompagner l'ode à la vie et à l'amour qu'il compose! Cela me parait presque plus païen que judéo-chrétien, un monde joyeux qui tourne dans le manège d'un monde fabuleux qui est celui du don et du Verbe Aimer.

Il y a dans son chemin un je ne sais quoi qui rappelle les « Quatre Saisons » de Vivaldi, le monde y est vu à travers les particularités géographiques et les mélancolies, projets, espoirs, partage, amours et émulations que l’on porte en soi et que l’on rencontre sur la route de la vie, et qui portent chaque fois une couleur et une "musique" particulière!

détails de tableaux de Chagall - photos JLG
L’inclassable Chagall est néanmoins un peintre qui rêve et recompose le réel à travers une série de personnages humains, ou célestes et d’animaux qu’il redistribue au gré de sa fantaisie dans un monde fantasmagorique et merveilleux ; chacun incarne symboliquement, comme dans une sorte « de clef des rêves » qui lui serait propre, une intention, une allégorie, un symbole de son passé ou de sa culture.

Parallèlement à ce parcours initiatique, sa peinture va s’épanouir, s’enrichir, devenir aussi un voyage mystique et un voyage syncrétique où poésie, humanisme, liberté, invocation à l’amour et évocation religieuse vont s’entremêler! L'oeuvre de Chagall part du noir, tout y apparait dans la lévitation d'un rêve qui sort du néant et tout s'y éclaircit doucement pour arriver à la couleur pure. Le dessin initial est fait de mille petits traits, fragiles, de pointillés imperceptibles, de brindilles noires plus ou moins épaisses qui dessinent les personnages ainsi évadés de la nuit.

En effet, ses personnages sont faits de mille traits plus ou moins épais comme s’ils se défaisaient d’une pelote de fils noirs et d’un paysage pesant et endormi. Puis viennent la conquête de la couleur, la délicatesse des contours en infimes pointillés, et tout simplement le bonheur d’être !

détails de tableaux de Chagall - photos JLG


Ce bonheur il est symbolisé aussi par la musique, référence spirituelle s'il en est, et qui scande et rythme sa peinture même ! Etre peintre c'est être un peu sorcier, c'est évoquer des êtres que l'on crée d'une courbe, c'est organiser le tout dans une danse des couleurs et des formes, c'est donner un souffle qui anime et envoie une vibration comme celle d'une note ou d'une petite musique personnelle, c'est ouvrir la porte d'un monde à nul autre pareil.

La lumière intérieure remplit alors tout le tableau, l’ombre n’existe plus. Le plafond de l’opéra de Paris est le meilleur symbole de cet accomplissement. Le noir a quasiment disparu, les traits des personnages sont fins, la couleur bouillonne comme à l’intérieur d’une étoile. Musique et lumière sont sœurs, l’une éclaire l’âme et la vie, l’autre le regard et les choses, et c’est bien dans le temple de la musique que cela se réalise.



Notes - liens intéressants:


 


Chagall Nice: Musée Chagall Nice
 
Chagall et son bestiaire: Ecoloinfo.com

Biographie : Moreeuw.com

Écriture -poésie de Chagall : cielam.univ-amu.fr





 





 
 






 






 

 

 

 


1 commentaire:

  1. Toute la subtilité poétique de ton écriture se retrouve dans cette interprétation de l’œuvre de ce grand peintre où la douceur émerge toujours même lorsqu’il peint la guerre et la douleur des temps sombres.
    Cette douceur, il la gardera toute sa vie car elle lui a été donnée depuis sa plus tendre enfance par l’amour de sa mère qu’il chérira toujours, ainsi que par Bella, sa femme adorée.
    Tu as tout à fait raison d’introduire ton étude par une brève biographie car il faut comprendre comment son œuvre entière est le fruit de tous ses voyages, exils, expatriation, lui qui a connu plusieurs guerres dont la révolution bolchévique. Ainsi balloté entre le matérialisme marxiste, la France lui offre la liberté de son expression. Puis la persécution des juifs l’oblige à s’enfuir en Amérique. Comme beaucoup de juifs, il rebondit, toujours, puis retrouve la douceur de la Provence et sa peinture se transforme sous le feu du soleil.
    C’est vrai, Chagall est inclassable dans aucun des mouvements picturaux de son époque (et il a traversé tout le 20è siècle, si riche en expériences artistiques) « jamais ni fauve, ni cubiste, ni abstrait, ni surréaliste ». Mais on peut considérer néanmoins qu’il a débuté par un expressionnisme et qu’il a préparé le surréalisme sans cesser d’être expressionniste. Il a utilisé les procédés cubistes et surréalistes avec ses personnages qui volent, sortent des bouquets de fleurs … Mais bien évidemment c’est surtout à la poésie qu’il nous fait gouter, à cette fantasmagorie onirique où il laisse son imaginaire créer au hasard. Comme toi je pense à juste titre que c’est un « Odilon Redon en plus joyeux ».
    Tout est poésie chez lui, et son exploration intérieure est profonde. Pour ma part je vois Chagall comme peintre mystique, tourmenté par la crucifixion (il en a peint un grand nombre dans une explosion de couleurs). Mais ne non trompons pas, son Christ n’est pas le Dieu des chrétiens qui s’est fait homme mais le symbole de la souffrance de tous les peuples opprimés et persécutés. Comme Rouault son monde religieux est vécu dans l’Expérience de la Profondeur de son âme mais chez lui il incarne l’âme même du peuple juif.
    Je suis en totale symbiose avec ce que tu dis : « de ce parcours initiatique, sa peinture va s’épanouir, s’enrichir, devenir un voyage mystique et un voyage syncrétique où poésie, humanisme, liberté, invocation à l’Amour et évocation religieuse vont s’entremêler «
    J’aime aussi l’évocation du rapport harmonique entre musique, poésie, peinture, que tu définis avec clarté et esthétique. Oui tout est Vibration et Lumière. La peinture de Chagall déroule sous nos yeux toute l’humanité, notre humanité en marche vers la vie coûte que coûte.
    Merci pour ce regard que tu portes sur un de mes peintres préférés, un regard de poète et de mélomane, un regard d’artiste . …

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