Le jardin image de soi !


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Photos JL Garac
Le jardin est ce qui nous ressemble le plus, il évolue comme nous avec le temps, il n’est jamais pareil, il grandit, il vieillit, il offre un visage, comme nous, avec des bons jours et des moins bons, des jours de tonus et d’autres de relâchement. Il se situe autour d’une maison, manoir ou château qu’il conforte et isole du monde. Le jardin est fait de matière souple, hors ses parties ligneuses, malléable, odorante, et de formes multiples par rapport aux pierres, bois, ciment des demeures qu’il cajole de ses frissons et d’ondulations harmonieuses. C’est un peu un chat de verdure. Surtout, le jardin accompagne la vie des hommes et se mesure à leur temps de vie éphémère, fragile et changeant.

En fait, un jardin n’est jamais fini, il est toujours à faire. Il ne représente que des instants de grâce, au fil des saisons et des jours, selon le bon vouloir de la Nature qui daigne ou non accompagner nos projets ! Car un jardin est toujours forcé par rapport à la Nature et au climat qui l’entourent : nombre de plantes sont importées, acclimatées ou en passe d’acclimatation et il s’y retrouve un nombre d’arbres et d’espèces de plantes qui sont toujours un concentré de ce que l’on rencontre naturellement sur plusieurs continents. Sans parler des hybrides et des essais que tout jardinier peut-être amené à imaginer. Donc rien de bien « naturel », qu’il soit d’agencement à la française ou relevant du jardin à l’anglaise méticuleusement travaillé dans son aspect «sauvage» ! Un jardin est toujours une parenthèse, un bonheur souhaité, dans l'environnement attenant, c'est ce qui le différencie d'un parc par exemple qui est lui un survivant de la Nature, protégé de la bêtise et de la cupidité des hommes.

 Le jardin est un rêve d’harmonie, un condensé de nos coups de cœur floraux, une envie de vivre dans un domaine, petit ou grand, maîtrisé, doux, abondant, et serein. Il concentre le monde et en même temps il s’en sépare, pour cultiver des moments de paix, de solitude et de réflexion, en cela il échappe au monde du bruit et de la fureur qui empêche toute question sur soi-même. Il réunit aussi les quatre éléments que sont la terre, l’eau, l’air et le feu : le feu étant ici pour moi synonyme des couleurs et de la flamboyance des floraisons au fil de l’année.

photos JL Garac
Il a du rester au fond de chacun de nous je ne sais quelle parcelle de ce jardin d’Éden, je ne sais quelle envie de goûter à des réflexions qui nous dépassent, et je ne sais quelle exigence de ne plus se mêler à un monde tournant à vide. Le jardin est une quête de sens avant d’être une quête d’essences et de plaisirs visuels et olfactifs. C’est souvent l’écrin d’un travail de recherches, de lectures, d’écriture qui n’aurait pas pu se réaliser sans cette barrière de verdure bariolée de fleurs, ces entrelacs de branches, ces bruits d’eau furtifs et ces espaces qui nous définissent mieux qu'un selfie.

Depuis les origines

Au fil des siècles et de la découverte du monde, l'Homme s'est mis à collectionner les arbres et les plantes venant des antipodes, à les faire s'adapter et se reproduire; il a fait de même avec les fruits, les légumes et les céréales, le monde est devenu ainsi une palette de goûts pour sa nourriture et une palette de couleurs pour son jardin. De la même façon, parfums et épices, deviennent un «jardin» spirituel et gustatif que l‘on emporte partout avec soi.

Chaque civilisation avancée a eu son mythe du jardin extraordinaire, et l'art a produit un écho sans fin à cette quête de beauté, de fraîcheur et de délicatesse. Combien de fleurs ciselées dans la pierre, peintes sur les murs ou les colonnes, naissant d'un réseau de fils de laine dans les tapisseries, ou se transformant en portraits de bouquets plus fiers, plus beaux, plus nobles et plus simples que n'importe quel monarque en costume d'apparat?

Le jardin est né dans le coeur de l'homme, il est né sous le pinceau des peintres, avec les mots des poètes, avec la conviction des amoureux de la terre, et la croyance des convertis au culte de la Nature et au culte des Dieux de bienveillance et de paix. C'est toute cette alchimie qui a produit l'idée même de jardin en se liant à la puissance de l'émotion que peuvent provoquer les fleurs sur cet écheveau de raisons et de causes. Ainsi, à travers l’histoire, on a répertorié des jardins de différentes formes et de conceptions fort éloignées les unes des autres: le jardin romain, l’hortus conclusus, le jardin italien, le jardin à la française, le jardin romantique, le jardin anglais, les jardins thématiques mais tous découlent de la même passion de retrouver dans un lieu circonscrit les arbres et plantes décoratives, olfactives et rares pour le plaisir des sens, en liant ce lieu au souhait profond d’une harmonie intérieure qui manque tant.

Le goût des jardins va connaître son apogée durant le siècle de Louis XIV. Avec Le Nôtre on va créer un style de jardin qui va marquer l’Europe entière, certes on n’invente pas les «jardins» qui depuis l’antiquité ont envoûté les hommes et qui se retrouvent d’ailleurs au centre du drame «métaphysique» et des livres saints: Jardin d’Eden et expulsion d’Adam et Eve, jardin de Gethsémani, ainsi que dans de nombreuses légendes et mythes à travers le monde, mais on réinvente un espace de loisirs, de représentations et d’agréments mêlant parc, bois, eaux, plantes, sculptures, bassins, jets d’eau et goût des grands espaces.
Photos JL Garac
 

Dans un deuxième temps à la fin du XIX°s, le jardin reprend des dimensions plus humaines, et même si l’espace joue un rôle important, on le rythme différemment en préférant lui garder une forme «sauvage» (wild garden) savamment dosée dans ses différentes parties ; et le jardin continue d’être un concentré de plantes et d’arbres du monde qu’on acclimate patiemment, on peut noter l’accélération des échanges de plantes dès la fin du XVIII°s avec tous les pays du monde en fonction des progrès liés aux transports ferroviaires, maritimes et aériens.

 
On trouve également d’ancestrales représentations de plantes et fleurs notamment dans les constructions égyptiennes à une époque où les hommes et les femmes vivaient au rythme du Nil et de la fertilité qu’il engendrait dans les cultures comme dans les plantes d’ornement. Il ne faut pas oublier non plus qu’une des sept merveilles du monde désignait, en Perse, les jardins suspendus de Babylone, ou plutôt de Ninive si l’on en croit les archéologues. Le goût du défi est également une motivation importante: il s’agit de dompter la Nature et de recréer un monde idéal qui n’a pas d’équivalent sur terre!
 
Réflexions à travers certains peintres
 

La peinture a montré également d’extraordinaires jardins et paysages à travers les siècles, et a suscité et accompagné une véritable mode des jardins et des parcs ; l’enthousiasme autour de certains courants picturaux a été à ce niveau prépondérant. Je vous donne quelques exemples ci-après de tableaux qui m’ont accompagné dans cette réflexion.

Tableau de Cranach l'ancien
Cranach l’ancien (1472-1553): cette oeuvre m’a particulièrement intéressé, elle montre un jardin clôt, idéal, et des hommes et femmes nus abandonnés à leur plaisir et joie de vivre, une source de vie coule en son milieu. Cela pourrait-être une vue du paradis, du jardin d’Eden, s’il n’y avait pas eu la faute originelle, car on dénombre une douzaine de personnages! Ce pourrait être je ne sais quel lieu mythologique, harmonieux et pacifique, voire même le jardin merveilleux de Boccace où un groupe d’amis se raconta le fameux «Décameron» loin des guerres, et de la peste qui ravageait Florence.

tableau de Poussin, paysage avec Polyphème
Nicolas Poussin (1594-1665): entre paysage rêvé, paysage imaginé, notamment avec le goût des ruines antiques, et paysage recomposé! Ce goût de la Nature est d’abord venu des grands espaces et des parcs prestigieux qui ont commencé à naître un peu partout en Europe. Poussin offre ici un paysage calme, lumineux, équilibré, agraire, les personnages mythologiques semblent sortis de leur torpeur de statue pour évoquer ce monde perdu que l’on recherche avec persévérance.

Détails des tableaux de Constable et de Cole
John Constable (1776-1837): est le grand peintre anglais de la Nature, célèbre pour ces doux paysages montrant l’Angleterre des petits villages, des paysans et des bords paisibles des fleuves et rivières! Il a aussi été l’un des premiers à peindre son propre petit jardin, il est vrai qu’à partir du XIX°s on va se focaliser davantage sur des espaces plus intimistes et sur des créations florales de jardins privatifs. À remarquer aussi, le peintre Thomas COLE (1801-1848), anglais également, qui s’est fait connaître par des tableaux de paysages exceptionnels, et notamment par les grands panoramas sauvages américains qu’il a réalisés (cf Hudson River School).

Détails des tableaux de Cézanne, Corot, Courbet
Corot (1796-1875), Courbet (1817-1879) Cézanne (1839-1906): sont des peintres français qui ont amené un souffle nouveau à ces tableaux de paysages, sortant définitivement des «constructions» d’atelier pour goûter à une nature lumineuse et sereine qui va nous amener aux jardins des impressionnistes!

Détails des tableaux de Monet et Caillebotte
Caillebotte (1848-1894) et Monet (1840-1926): à une époque où le monde aristocratique et bourgeois européen se passionne pour l’horticulture et crée notamment de magnifiques serres de plantes rares et exotiques, le monde de la peinture n’est pas en reste et commence à faire découvrir ou redécouvrir ce bonheur simple d’un jardin personnel que l’on cultive allégrement. Les grandes orientations lancées par les jardiniers en vogue de l’époque vont se féconder avec le regard et les souhaits des peintres qui feront de leur jardin une sorte de palette vivante, où infusera tout l’impressionnisme, et au-delà où naîtront les prémices d’un art moderne lié à ces bouquets de couleurs, et Caillebotte et Monet sont insurpassables à ce niveau.

Détail d'un tableau d'Henri Le Sidaner
Le Sidaner (1862-1939): j’ai toujours été bouleversé par l’atmosphère intense et quasiment irréelle qui se dégage de ces tableaux au riche chromatisme et par ce bonheur ouaté dont on ne sait pas s’il parle du présent ou d’une recherche patiente de moments passés à jamais disparus.

Tableau de Frieseke
Frieseke (1874-1939): ce peintre impressionniste américain est absolument exceptionnel ; il serait d’ailleurs enfin bienvenu qu’on puisse s’intéresser à l’impressionnisme américain dans son ensemble car nombre de peintres de premier ordre nous sont absolument inconnus. Frieseke, lui a eu la chance de vivre en France, notamment à Giverny près de Monet, qui était devenu en quelque sorte une «couveuse» d’artistes internationaux fascinés par les jardins et par l’envoûtante prégnance des fleurs.



 
Note : simplement ce renvoi sur ce site, il y a par ailleurs d'innombrables sites sur les différents peintres cités et sur l'art des jardins : 
 







 

2 commentaires:

  1. absolument superbe, merci cher ami poète , cheers !

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  2. Très bel article sur le jardin source de rêves et de méditation, très joliment illustré par tes photos et les tableaux. Merci pour ce beau texte bisous Anne Marie

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