Qui peut faire le constat joyeux de la société dans laquelle il vit ? Ceux dont la fortune, dans tous les sens du terme, ont pu les plus éloigner de la servitude de gagner jour après jour leur pain et de n'avoir nul souci pour vivre ici ou là et pour réaliser leurs rêves auront une vision sans doute moins triste du monde. Tous les autres, dont je fais partie, y verront des verrous, très préoccupants :
-déjà l'absence de liberté, et parfois il ne faut pas aller bien loin pour le constater!
-déjà l'état de lambeaux du cœur humain qui n'est plus capable d’aimer, de pardonner, d'être honnête et sincère et en premier lieu avec soi-même!
-déjà tous ceux qui ont le jugement si facile et la hargne si prompte à sortir à n’importe quelle occasion!
-déjà le nombre d'addictions qui mettent en déliquescence la faible épaisseur humaine et réduisent à néant toute relation sereine dans la durée!
-déjà l'effondrement d'une morale, ou d'un simple bon sens, qui est remplacée par une forme d'égoïsme ou de folie sans borne!
-déjà le nombre astronomique de «fake news» disséminés par bêtise ou malveillance, et qui se double par le nombre non moins hallucinant des «fake friends» qui deviennent des «amis» si enflammés et si engagés pour disparaître curieusement du jour au lendemain ou pour vous cracher à la figure à la moindre occasion quand ils se seront lassés de vous…et cela reste typique des réseaux sociaux qui marquent et signent leur terrible faillite!
-déjà les perturbations du climat qui étouffent la Nature et qui mangent jour après jour nos paysages, nos repères, et nous font voir une beauté de la flore et de la faune en péril absolu ou en souvenirs figés d’un passé qui ne revivra plus!
Cette société est trop souvent aussi celle du «sens unique», et le partage, l'attention, la compassion, la bienveillance et l'amitié s’éteignent dans de vains mots. Certes on accueille les gestes, les vœux, les éloges ou les témoignages d'affection ou d'intérêt avec gourmandise mais ce qui est bon à prendre n’entraine que rarement quelques sentiments en retour. Les amitiés virtuelles ne montrent notamment qu'une «cour» de followers réduits à jamais à l'état de spectateurs! Vous comprendrez, si vous ne l'avez pas déjà vécu vous-mêmes, que ces constats d'amertumes et de tristesses jonchent le sol de nos chemins aujourd’hui. «L’enfer c’est les autres», dit Sartre avec raison, car il faut sortir de ce jeu de «jugements» qui plombent et engluent le monde. Dénoncer ces constats d’amertumes, c’est déjà prendre de la distance, c’est déjà les analyser, c’est déjà les combattre et faire prendre conscience, via la poésie, de l’essentiel qui nous échappe si l’on ne fait rien pour l’éviter.
JL Garac, janvier 2018
L'AMERTUME DES JOURS
16 poèmes
1Le temps d'espérer une fleur,
Un mot, une pensée, un geste…
Le temps de murmurer la peur
Devant le chemin qui nous reste;
Le temps de l'indécision leste
Où meurt l'amour si près du cœur.
Mais le temps de croire à la fleur
Du destin, d'un seul petit geste...
***
2
Être deux, le doux rêve,
Qui ne vient qu'une fois...
Combien d'échecs, parfois
D'impasses où l'on crève
De l'ombre que l'on a...
Être deux ! Tout soulève
La poussière de soi,
Et le temps noir achève
Ce singulier combat...
***
3
Dans la jungle du monde
L'inextricable ennui
Et les forces de mort
Se détruisent parfois;
Des chaos de chacun,
L'aurore peut surgir :
Et vouloir Respirer,
Et Vivre et Être Libre
S'annoncent comme un jour
Que l'on n'attendait plus...
***
4
La pierre et l'impalpable,
Dans les jeux de miroir
Le prisme insoupçonnable
Mêlé du jour au soir,
Ce globe d'eau où roule
Un sable de rayons,
Et l'éternité saoule
De mille conjonctions...
***
5
Que sommes-nous pour certains:
Des traits fuyants, des visages
D'ombre, des repoussoirs, pages
D'ébauche sans nul destin?
Que de mouvance et de danse
Comme des algues sous l'eau,
Et la peur d'y voir bientôt
Notre propre ressemblance...
L'autre n'est qu'un confident
Occasionnel, sans substance;
Aigreurs et larmoiements rances
En font l'ami d'un moment.
La hargne seule surnage
Dans son unique plaisir,
Qui est de mordre et salir
Pour tenir face au naufrage...
Ce monde ignore l'amour
Comme le pardon immense,
L'amitié même se pense
De services en retour...
A ce jardin maléfique,
Les plus belles fleurs, partout,
Sont, de la mort, l'avant-goût,
Et, pour nos espoirs, tragiques...
***
6
Dieu est l'Aboutissement et la Destruction,
Il naît du sentiment d'écrasement de l'Homme,
Triste "rien" regardant la voie lactée, en somme
L'impossible reflet d'une constellation...
L'Homme se choisit donc un Dieu à son image,
Fait d'ombre et de malheur, d'inspiration, de mots;
Le déjà balbutiant se dit Psaume, et bientôt
Loi, pareille à la foudre au contour d'un orage...
Il s'étrangle au cordeau de sa propre maison,
Et l'absurdité la lui rend inhabitable;
Mais ce Temple éternel est bien notre prison...
Quand il aura tout tué de lui, sauf la fable
Dans laquelle il se voit atteindre le soleil,
Il sera devenu ruine, poussière et fiel...
***
7
Ne jamais savoir de quoi sera fait
Le jour, qui arrive au galop des heures;
Aussi indécis qu’improbable leurre
De soi, et du sens, que tout a défait.
Quand le monde s’agite en vouloir vivre,
En ego plombant la courbe du temps,
Et que nul désir ne vient délivrant
Tous ces écrits qui ne font pas un livre,
Je me sens devenir comme un jardin,
Impatient du soleil d’or de l’aurore;
La rosée frôle un rêve et se colore
Du prisme fluide d’un autre destin…
Ne jamais savoir vers quoi je m’avance,
Ni de quelle fleur je porte l’essence…
***
8
Les vents taillent
Les arbres, les nuages,
La crête des sommets,
Jusqu'au seuil solitaire
Où je vis...
Chaque pensée s'arrête
D'un souffle de soie,
Palette de parfums
En couleurs...
Alors le souvenir
S'agite et se transforme
En reproche;
Le temps danse d'un coup,
Rapide et bien rythmé,
D'éventail...
***
9
J’ai peur de voir la vie défiler devant moi,
Comptant les fleurs poudrées de soleil, lors défaites
Au couchant d’horizon rouge et mauve, en soi
Mes amies d’un soir, pour se retirer muettes.
J’ai peur de ce temps là qui n'est plus que compté,
De ces portes fermées couleur de mur d’impasse,
De ce chemin où seul je me dois d’exister
Alors que rien ne vient changer ma vie trop lasse…
J’ai peur de ne donner aucun nom à l’amour,
Au tableau d’impressions que des couleurs obscures,
Et dans l’inespéré, au puzzle de ces jours,
Qu’un sentiment tracé comme une simple épure…
J’ai peur de voir l’ennui recouvrer jusqu’au bleu
Que la fenêtre ouverte invite en pure fête,
Mais rien ne pourra plus troubler ce simple adieu
Pour dire j’aime au-delà du monde obsolète…
***
10
Boys à la poudre d’escort,
Et poupées-putes sans âme,
La «Révolution» des corps
A trainé hommes et femmes
Dans des clonages sans fin!
Là des médiocrités viles,
De métrosexuels hautains
Qui errent, froids, dans les villes,
Ont submergé nos écrans
Pour noyer l'intelligence
Et tuer tous les «printemps»…
L’interchangeable ainsi danse
Jusqu'à effacer l’humain,
Aussi bien que l’orthographe!
«Cœur vide et pensée de rien»
Sera leur seul épitaphe,
-Rempli de fautes s’entend…
Le sexe-addict fait le monde,
Ou le défait au présent,
Sur nos amours moribondes…
***
11
Un siècle…
Car je suis un soldat qui n'aime pas la guerre,
Et que j'ai vu passer trop d’immondes combats!
Parfois, il n'y avait ni raison ni colère,
Hors l'idée que l'on veut nous forger ici bas!
On construisait un monstre au regard sanguinaire,
Son passé était noir de vengeance et de feu,
Et il sortait des corps troublants de la misère,
Pour apporter la mort partout devant nos yeux!
Parfois, il était d’or, de sable, et de lumière,
Et il semblait si beau qu'il fallait le tuer;
Si loin de nos savoirs, si loin de notre terre,
Ce que nous apportions fut en bloc conspué…
Parfois, il avançait en nuées meurtrières,
Coulant comme la lave au sang incandescent,
Haine et folie mêlées pour prix d'un millénaire,
Qui aura dévasté l'Homme pendant cinq ans!
Parfois, quelques regards, d’un froid de cimetière,
Croisaient notre chemin, détruisant pour toujours
L’insouciance et l’espoir…Sans être militaire,
Mourir comme fauché au champ triste d’un jour!
Parfois, c'est dans nos cris d’impossibles prières,
Et nul dessein humain ne créera un seul cœur;
Car je suis un soldat qui n'aime pas la guerre,
Et dont les ennemis connaissent trop la peur.
***
12
Aujourd'hui il ne faut plus «être»,
Il faut simplement «ressembler»
Aux modes qui par la «fenêtre»
Nous diront qu’on sera comblé!
Les tailleurs d’image et de style
Ont cultivé le corps humain:
Salades clonées dans les villes
Et courges au même destin…
Adieu ma pauvre différence,
Adieu ma personnalité,
Les miroirs fous de l’ignorance
Se sont bien démultipliés.
Nous serons des poissons de masse,
Fébrilement dans notre banc,
Suivant au quart de tour la trace
De tous nos rêves là devant.
Et prêts aussi à nous détruire,
A nous manger l’âme et le foie,
Le semblable est parfois le pire,
Car on ne tue vraiment que soi!
***
13
A un ami
Comme on aime les chiens
Qui toujours nous regardent
Sans perdre jamais rien
De nos regards lointains.
Leur cœur entier s’attarde
A donner des câlins!
Ils savent la souffrance
Qu’on cache au quotidien
Les certitudes bien
Fragiles, nos errances
Aux multiples demains…
Loin devant, sur la plaine,
Ils sont des étendards
Courant à perdre haleine
Pour quelque jeu à peine
Récompensé! Au soir,
Ils ressentent nos rêves,
A nos pieds, tendrement,
Feignant de dormir sans
Qu’il n’y ait quelque trêve
A leur fidèle amour;
Amis de tant de jours…
***
14
Comme l'homme ne sait pas vivre
Il se crée un dieu pour tuer
En se condamnant dans des livres;
Le néant l'a perpétué!
Comme l'homme ne sait pas vivre
Le crime est son seul mouvement,
Et l'effroi qu'il se donne à suivre
Court comme un lierre sur le temps...
Comme l'homme ne sait pas vivre
Le voilà bouffi de folie
Et d'orgueil étouffant, qui lient
Le passé au présent! Sans fin,
L'écho de l'Amour qui délivre,
Croise la Mort sur son chemin.
***
15
Rien ne dure ni ne tient
Sur cette longue route,
On dit bonjour et soudain
On est béni en voûte !
Tel ami, passé demain,
S’en ôte comme un doute…
Et on sent qu’il n’y a rien
Sous nos pas qui chaloupent…
Rien ne dure au vieux soleil,
Tout passe et tout s’efface,
Les jours de joie ou de fiel
Les sourires, les grimaces!
L’ombre d’un corps sans pareil,
Se défait dans l’espace,
Quant aux sentiments de miel
L’aigreur a pris leur place…
Rien ne dure, ni les dieux:
Vieux Chacal, vieilles Lunes!
Granit, marbre, bois précieux,
Le temps n’a eu aucune
Indulgence pour l’un d’eux!
Mais il reste, ô Fortune,
Aux autels, le sang visqueux:
Haine, mépris, rancune…
***
16
Le ponton des souvenirs
A bien des vaisseaux fantômes,
La brume le voit tenir
Seul face à des millions d’hommes
Devenus scintillement,
Quand la lune roule, à peines
Et à pleurs, sur notre temps
Et à demi-mots à peine…
Le ponton voit débarquer
Sur la vague en roue de mousse,
Un écho de vie marqué
Par une absence aigre-douce,
Ou par la mort d’un amour;
L’infini refrain du monde
Dans les osselets du jour
Rend notre âme vagabonde…
Le ponton des souvenances,
Reste abandonné depuis
Que tournent loin nos errances
Au-delà de chaque nuit;
Et seul le départ ultime,
Comme un mot flottant en nous
Mi scélérats, mi victimes,
Verra l’horizon au bout…
Jean-Louis Garac – poèmes 2017
Les photos : Jean-Louis Garac
Que de belles lectures Jean-Louis, que je ferai au compte gouttes pour déguster mieux. Prendre son temps pour apprécier et découvrir la Poésie.
RépondreSupprimerFR
Merci pour ton regard de poète et d'amie, la grande roue du monde nous entraîne parfois sur de curieux chemins qui ont le parfum discret du paradis perdu et la sécheresse et les épines des virevoltants d'aujourd'hui...
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