photo JL Garac |
"L'architecture, c'est de la musique figée." Goethe
Les villes ressemblent à des fleurs, du petit bourgeon jusqu'à l'étalement parfait de leurs pétales, du moins pour celles qui ont connu une croissance progressive ou une accélération soudaine due à une cause économique, politique ou géostratégique.
Nice, dont l'histoire se perd dans la nuit des civilisations, et qui a connu des moments difficiles lorsque Louis XIV a fait raser ses remparts, qui a été aussi brinquebalée au fil des époques entre des Maisons et des Princes de noble pacotille, a commencé sa lente et belle métamorphose vers 1850. Un tortillard, qui perçait à travers la Provence, est venu la saluer jusque dans son Comté, des aristocrates en mal de dépaysement l'ont découverte comme terre de villégiature; des rois, des reines, des tsars ont pointé le bout de leur majesté faisant mouiller leurs navires, débarquer leur cour et humer son air salvateur!
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Et pour couronner le tout, devant ce petit port de pêche et cette vieille ville endormie sous la colline de son château fantomatique, ces personnages ont fait bâtir et agrandir la ville, et puis d'autres également sont arrivés en renfort, et puis des hôtels, somptueux Titanic sur terre, ont surgi sur les collines comme une végétation luxuriante, notamment à Cimiez ou en bord de mer, le tout à des points stratégiquement étudiés pour faire apprécier l'une des plus belles baies du monde, celle des "anges", du nom d'un petit poisson-requin disparu depuis longtemps. La ville médiévale et pauvre s'est entourée d'un beau diadème de riches demeures où l'art des architectes de passage et le savoir faire de la main d'œuvre locale ont réussi de belles pâtisseries de pierres. Pour simplifier, les toits de tuile en terre cuite ont côtoyé les toits en couleurs et aux ardoises du Nord.
Carnaval de Nice par Mossa. |
Nice commençait à respirer comme une métropole européenne, un carrefour d'élégance, de pouvoir et d'argent...Vers 1873, le petit carnaval niçois, jusque là limité à quelques rues étroites autour de la cathédrale, se découvrait aussi une vocation plus large et imposante, et ,comme le reste de l'Europe, désignait et plébiscitait un roi et une reine de carton pâte avec des chars majestueux et thématiques. Au début de la troisième République, naissait ainsi en France un règne de bonhomie avec l'aide de deux créateurs de génie dénommés Alexis Mossa et Gustav-Adolph Mossa, son fils. L'un des plus grands carnavals de France était né et montrait que l'hiver à Nice était délicieux, festif et sous un bleu éclatant immortalisé par le célèbre terme de "Côte d'Azur" du à Stéphen Liégeard. Comme vous le savez la saison touristique, jusqu'à la fin des années 30, était la saison d'hiver, l'été l'a remplacée depuis.
Nice m'a toujours fasciné par tout ce que cette époque joyeuse a pu créer : villas, hôtels particuliers, longs bâtiments dignes du nom de palais, et par l'incroyable imagination de ses architectes et décorateurs qui ont rythmé les façades, dessiné mille toits et dômes différents, et donné à voir une poésie sans cesse renouvelée de sculptures, guirlandes, mascarons, oriels, colonnes, pilastres, atlantes, balustrades, corniches, vasques qui caractérisent et rendent unique chaque immeuble! Certains d'ailleurs ont l'allure d'un petit Versailles ou d'un délicieux Trianon!
Se balader dans la ville devient un plaisir, on oublie les embouteillages, on fait fi de certaines horreurs architecturales modernes construites à la va vite et qui un jour très proche finiront dans la poussière de l'oubli puisqu'elles y sont déjà rentrées. Il faut dire qu'entre 1960 environ jusqu'aux années 2000 on s'en est donné à cœur joie pour créer des mochetés et faire de l'urbanisme à fric avec des "mille-feuilles" indigestes, en quelque sorte le degré zéro de l'architecture.
Les dômes ou coupoles
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Le tsar commandait des œufs de Pâques à Fabergé; objets de rutilance et de merveille de mécanisme, en laques et en pierreries. Quelque part j'imagine, en poussant à peine la réalité, que ces dômes et coupoles, de formes mammaires, ovoïdes ou en pommes de pin sont des œufs précieux censés indiquer l'excellence de la construction, autant pour son contenu que son contenant. La légende dit que le Négresco, se couronne d'une coupole rose qui aurait été créée en s'inspirant du sein de la Belle Otéro, première star du cinéma en 1898 pour un numéro de danse, et dont la vie tumultueuse entre théâtre, scènes royales et mondanités diverses, s'est conclue dans la plus grande pauvreté et un suicide à l'âge de 96 ans, à Nice en 1966.
Violet Le Duc au XIX°s avait lancé la mode des relectures architecturales, coiffant les tours des châteaux médiévaux de toiture conique, et quelque part cette idée de coiffer les maisons, mis à part les églises depuis toujours, semble avoir remporté beaucoup de succès. Loin de la philosophie du minimalisme, des angles droits et de la simplicité des lignes et des moyens, cette époque ne se projetait que dans un superflu et une débauche de décorations et de couleurs qui devenaient son essence même. De plus, ces dômes se terminaient tous par des lanternons, eux-mêmes ressemblant à des clochetons, des vasques ou des bourgeons!
Les peintures, mosaïques, faïences et sgraffites
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Comme objet d'art, l'immeuble ou la villa se pare de peintures, de mosaïques, de faïences! Chacun connait les petits objets de luxe : poudrier, tabatière, pilulier etc. qui depuis toujours ont fait la renommée des élégants et des élégantes, et bien je dirai le plus petit a inspiré le plus grand en quelque sorte! Ainsi les murs, comme aurait pu le dire Jean Cocteau, se sont tatoués, et ont raconté une histoire en fleurs, en fruits, en griffons mythiques et rinceaux!
En général cette marque quasiment poétique se concevait dans l'espace d'un bandeau qui faisait tout le tour de la maison, juste en dessous de l'avancée de la charpente du toit où l'œuvre restait protégée. Au départ, ceux qui ne pouvaient pas se payer de belles sculptures faisaient appel à des fresquistes qui réalisaient ces décors naïfs, par la suite la mode a séduit même les plus riches.
Aujourd'hui on rencontre des maisons où la trace du bandeau est demeurée, mais sans la fresque. Faute d'argent pour les rénover on a souvent effacé d'un coup de rouleau ces délicates réalisations...L'idée a cependant duré jusque dans les années art-nouveau puis art-déco, car on trouve encore des immeubles où cette frise, différemment positionnée, est réalisée en une mosaïque richement colorée.
Les fleurs, feuilles, et personnages
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C'est tout un univers que l'on découvre sur les murs des façades, à la clef des fenêtres ou juste en dessous, à l'angle des murs, en bas-relief, au-dessus de la porte d'entrée, et courant et se jouant autour des différentes corniches qui soulignent les étages. L'immeuble est déjà habité par ces amours, par ces masques ou mascarons imités de l'antique et dont le sourire se perd dans la nuit des temps.
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Parfois on découvre des atlantes qui veillent et scrutent le visiteur, ou suggèrent inversement une idée de douceur et de féminité. Tout vit au fil des jeux de lumière dans la journée, la façade devient un conte selon l'imagination de chacun et raconte aussi l'histoire de ses propriétaires, comme par exemple tel chevillard qui fit sculpter des têtes de bœufs comme s'ils portaient les poutres de sa maison, ce qui rappelle ses lointains cousins d'Assyrie, de Babylone et d'Egypte...
Les bow-windows ou oriels
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Un des éléments clefs de ces années de riche effervescence architecturale me semble provenir de ces rythmes verticaux qui cassent la monotonie des façades, les bow-windows, créant un décroché à trois facettes ou plus, esthétiquement très intéressant, autant pour celui qui regarde de l'extérieur que pour celui qui bénéficie de cette avancée en mini jardin d'hiver dans son appartement. Certes on peut ajouter des colonnes et des pilastres, et on n'y a pas manqué d'ailleurs, pour rythmer, donner du relief et jouer sur des "jets" de pierre comme pour une fontaine musicale. Une façade doit s'écouter aussi et chaque composante peut être considérée comme un pupitre particulier. Autre effet séduisant, l'ajout de petites tours en encorbellement aux angles, le tout ajouré de fenêtres sur toutes les facettes pour terminer l'illusion d'un palais-château moderne.
Les notes orientalistes
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Les incontournables
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Nice ne dispose pas de très grandes places, les plus notables sont la place Masséna construite à partir du début du XIX°s, la place du port Lympia qui connait son visage actuel à partir du XIX°s aussi et la place Garibaldi, récemment restaurée qui date de la fin du XVIII°s. A noter que Nice est une ville qui à partir du XIX°s a commencé à recouvrir son fleuve, le Paillon; aujourd'hui la coulée verte serpente sur son lit, tout comme une partie de la place Masséna, et ce jusqu'au jardin Albert 1er. A ce niveau, côté mer, on le voit encore rejeter ses eaux lors de fortes pluies, mais la plupart du temps il passe inaperçu.
Il faut signaler aussi Le palais des rois Sardes, élevé au XVIII°s, qui ouvre une belle perspective au milieu du Cours Saleya, et qui a connu de nombreux remaniements jusqu'au début du XX°s. Un autre grand palais incontournable est le palais baroque "Lascaris", que l'on admire dans une rue étroite du vieux-Nice et qui lui remonte au début du XVII°s.
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Toutes ces réalisations d'architecture donnent un air à Nice qu'il est difficile de retrouver ailleurs. Ces magnifiques vaisseaux de pierre continuent à rayonner et à donner à rêver, ils restent les témoignages d'une époque intense, étonnante, et quelque part encore privilégiée par rapport aux horreurs qui allaient secouer le monde à travers les deux guerres mondiales.
Avec la stylisation des formes due à l'art-déco, on allait connaître aussi de purs chefs d'œuvre avec des lignes symétriques, des lignes en dégradées jouant sur les volumes et de belles sculptures massives et arrondies comme des fruits mûrs. Ces bâtisses extraordinaires sont devenues l'air que l'on respire aujourd'hui, elles infusent une certaine forme d'art de vivre et de beauté, de délicatesse et d'opulence dont on ne sait plus rien. Elles sont notre "recherche du temps perdu" tangible et presque archéologique ou archéo-nostalgique...
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Les Photos et présentations ont été réalisées par mes soins, sauf celles des œuvres de Mossa.
Jean-Louis Garac
Joli parcours à travers les rues et les places de cette ville mythique que tu connais si bien, toi le poète niçois. On se laisse imprégner des parfums des couleurs courants sur les décors des villas et des immeubles. On savoure les splendeurs des tatouages muraux aux décors art naïf, art déco ou art nouveau.
RépondreSupprimerOn plonge dans cette ville avec un éclairage plein de surprises architecturales que le lecteur découvre.. et se révèlent à lui, mille images, formes, mouvements, structures, frises de décors élégants, que seul un artiste peut visualiser sans plan commenté. Car rien ne t’échappe et ces photos de magnifiques façades, dômes et coupoles, de peintures et mosaïques, de clin d’œil à l’Orient, ces regards vers l’histoire, attisent notre curiosité et nous séduisent agréablement.
Avec un vocabulaire riche de mots techniques et chargés de sens poétique, qui reste ta marque de création, ta signature, tu nous offres dans ces pages, plus qu’un guide pour touristes lettrés et passionnés d’art. Une véritable ovation à la cité niçoise et son histoire que l’on visite, le regard tourné vers le ciel.
Comme toujours nous sommes invités à aller plus loin, au-delà de nos rêves, à la recherche du temps qui n’est jamais perdu en te lisant. Et, sans aucun doute, nous irons voir ou revoir du côté de chez toi.
Cet écrit est un véritable bijou !