Eloge de la missive !


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« La lettre qu'on ne reçoit pas fait tellement plus mal que celle que l'on reçoit... quel qu'en soit le message. »



Robert Blondin, «7ème de solitude ouest»




Qui sait encore écrire des missives* ou des lettres? Peu de personnes hélas, les cas de figure les plus courants restent aujourd'hui liés à la recherche d'emploi, ou à la correspondance avec l'administration. Sans doute trouve-t-on encore des missives, mais anonymes pour déblatérer contre quelqu'un !

 Le portable et le texto, le bon vieux téléphone fixe, Internet et ses messageries, ont tué cet exercice délicat et subtil qui consistait à mettre sur papier tout l'espace de ses sentiments dont les variations s'évanouissent à l'infini!

De plus, on pouvait se dévoiler aussi par son écriture, le choix de sa plume et la sélection d'un beau papier ou non! Ceux qui avaient peur de ne pas être déchiffrés dans leur écriture pouvaient employer les bonne vieilles machines à écrire, rappelez-vous l'inoubliable version musicale de Leroy Anderson (The Typewritter)!

Tout cela donnait envie d'approfondir la personne qui prenait la peine de se livrer dans cet exercice. On pouvait aussi la faire « parler » à son insu, au-delà même des mots de sa lettre, en révélant, par les absences ou ou par les attentions contextuelles, sa qualité propre. Bien sûr les mots eux-mêmes sont de terribles révélateurs, mais missive ou texto ou courriel ils gardent la même force que couchés sur un courrier ... désuet ! Ils sont simplement rares, parcimonieux et mal écrits de nos jours alors que la missive permettait une réelle expression car sans contrainte en dehors de l'inspiration de chacun.

Il y a peu de temps, un éditeur d'art parisien à réimprimé, en petit tirage, un livre charmant et amusant : « Le Secrétaire Galant ». Ce livre a eu du succès à la fin du XIX° siècle, il exprimait en effet, dans toutes les déclinaisons possibles, l'art d'écrire une lettre, du ton le plus léger au plus grave : lettre pour demander si on est bien aimé, pour reconnaître l'enfant qu'on a fait, pour faire cesser des assiduités compromettantes, pour proposer de rester seulement amis, pour donner un nouveau rendez-vous, pour refuser d'être amante ou épouse etc.

Ce genre de livre nous donne la mesure et la distance entre ce monde et le notre et quelque part ce que nous avons perdus : une expression piquante et prenante d'une situation donnée, une délicatesse dans l'écriture et le cheminement de la pensée, une humanité et une épaisseur d'âme à jamais perdue, et une forme d'innocence elle aussi tombée en poussière.

Il faudrait presque s'y remettre car c'est peut-être une question de salut privé ! N'oublions pas que nous sommes des mots, des connections infinies de mots qui nous composent, qui nous ont séduits, qui nous définissent, qui nous font rêver. Et dans le sable de l'histoire, la petite comme la grande, c'est à nous de les inscrire à chaque fois et de les recréer encore et encore pour envelopper le monde de notre empreinte, un peu comme le fait le sculpteur Jaume Plensa qui construit des formes humaines en silhouettes de lettres!

La littérature a donné également ses lettres de noblesse aux lettres : comme avec le roman de Choderlos de Laclos « Les liaisons dangereuses », plus près de nous le charmant roman de Colette « Mitsou ou comment l'esprit vient aux filles », Philippe Besson dans « En l'absence des hommes », où le jeune Arthur, soldat durant la guerre de 14-18, rencontre le jeune Marcel, le futur Marcel Proust... et bien d'autres ouvrages... Sans compter les correspondances privées aujourd'hui accessibles à tous: Madame la Marquise de Sévigné, Voltaire, Sand, Flaubert, Cocteau etc. etc. etc.

La missive c'est le besoin de l'autre, l'attente, la question parfois plus importante que la réponse. C'est le miroir que l'esprit se donne pour refaire un point, exposer son désir, son chagrin ou sa joie. C'est sortir de soi ce qu'il est difficile de porter pour un temps, c'est une demande pour faire taire nos angoisses ou nos peurs, un besoin de donner pour partager et prolonger des moments rares.

Dans le domaine de la missive liée à des sentiments, il se dessine quelque chose comme la requête du centurion à Jésus-Christ : « Tu n 'as qu'un mot à dire et ce garçon sera délivré de son mal.»** Ce remarquable épisode des évangiles est pour moi le point central du message du Christ, et il se retrouve me semble-t-il dans tout désir de communiquer et dans toute correspondance où l'amour tient une place centrale. Ici c'est un homme qui s'avance dans la foule qui entoure le Christ et qui parle, il porte une requête essentielle et l'humanité de tout temps semble attendre cette réponse qui est en relation avec la pierre d'angle du commandement de nous aimer les uns les autres. Hors de cela rien ne tient.

Ce mot que le centurion attendait et qui va guérir son ami, ne se profile-t-il pas derrière nos actes essentiels? L'humanité entouré de gadgets modernes n'a cependant pas changé de nature, pour notre monde occidental habitué à vivre dans l'opulence et le gaspillage la marque de l'égoïsme est plus accentuée, mais un personnage terne et égoïste demande aussi sa part d'amour...

La missive représentait dans ses milles facettes ce besoin de parler, d'approcher, de questionner, de recréer (par temps de guerre notamment) un lien essentiel, et de tous les mots accumulés il en restait bien un, comme dans le tamis des orpailleurs, pour donner tout son sens aux courriers envoyés. Aux destinataires de le comprendre et d'apporter leur réponse.

Peut-être avez-vous vous aussi quelque chose à exprimer? Les textos et courriels vous laissent peut-être une impression d'embarras et d'indigence car trop courts et trop souvent noyés et lus sans attention! La missive avait un impact plus grand, c'était d'abord un contact physique, des mots écrits et touchés directement par la personne qui pensait à vous!

Je ne saurai donc trop vous conseiller de vous remettre à écrire d'abord pour vous-même et pour fixer vos impressions sans contraintes et dans un autre style que celui d'un télégraphiste analphabète; et puis écrire pour un autre, pour dire tout et rien, comme au temps du « Secrétaire Galant », car tout est important et les détails, mêmes infimes, tiennent l'ensemble d'un puzzle !

Peut-être avez-vous la question du centurion au bord des lèvres, peut-être est-ce un besoin vital mais non clairement visualisé, qu'importe! C'est en écrivant que l'on se construit, rajoutez donc des lettres de noblesse à votre coeur et fuyez le silence car il est synonyme de mort et de vide.


*synonyme de lettre, peu employé de nos jours, vient du latin « missus » de mittere : envoyer

**La Bible, nouvelle traduction, éditions Bayard, 2001








 




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