Un texte proposé par John :
Quelle séduisante notion que celle de la tolérance. Suffira-t-elle toutefois pour obtenir de nouveaux droits ? Droits au mariage ? Droit à l’adoption ? Rien n’est moins sur …
« Notre vraie nationalité, c’est l’humanité », Herbert Georges Wells.
On dit que ma génération (j’ai 26 ans) est celle qui s’est désintéressée de la vie politique, associative, syndicale. Celle qui s’abstient lorsqu’il s’agit de voter, de décider, de s’impliquer, de s’investir. Celle qui grogne, grommelle, geint mais ne parle pas, ne réfléchit pas, « une génération sacrifiée » [1].
Ce qui est vrai, c’est que ma génération est celle qui a eu pour héritage de ses grands-parents un conflit mondial. Les instituteurs avaient beau nous enseigner que nous étions dans le camp des alliés, nos grands-parents eux nous apprenaient que la frontière entre alliés et ennemis était bien mince, sujette aux circonstances, qui définissaient les appartenances à un camp ou à un autre, plus que l’inverse.
Ma génération est aussi celle qui a hérité de ses parents d’un conflit colonial en Algérie. Un conflit mal digéré, qui n’en finit pas de remonter à la surface, tour à tour motif de repentance nationale ou bien de fierté des effets positifs de la colonisation [2]. Un conflit engagé par une ancienne puissance coloniale, arrogante, face à une majorité d’algériens désireux d’autonomie et de reconnaissance identitaire.
Prenant le contre-pied des générations précédentes, ma génération est celle qui a mis tout sur un même pied d’égalité, qui a enlevé les mots valeurs et jugements de son vocabulaire. Finis les camps du bien et du mal. Finis les camps des riches et des pauvres. Finis les guerres, les traumatismes. Ma génération a sanctifié la tolérance, l’a érigée au rang de valeur suprême. On a fait des guerres au nom de la suprématie d’une race ? D’une religion ? Décidons que tout se vaut. On a fait une guerre au nom d’un sentiment de supériorité quelconque ? Taisons ces sentiments qui poussent à l’ambition, encouragent les antagonismes, obligent à choisir son camp.
Je suis d’une génération qui a chanté avec Damien Saez « Fils de France, nation de la tolérance » [3], qui a répondu aux « appels à la tolérance » de SOS Racisme [4], et a souscrit aux principes de SOS homophobie de « s’engager contre l’intolérance » [5].
Bref, je suis d’une génération pour qui être tolérant, c’était être cool. Et être cool, c’était une fin en soit pour tout jeune qui se respectait.
« Tout ce qui se ressemble n’est pas identique », William Shakespeare
A bien y réfléchir, la tolérance a pourtant quelque chose de violent et de doublement insultant : pour celui qui tolère d’abord et pour celui qui est toléré ensuite.
Pour celui qui tolère d’abord. Car qu’est-ce qu’être tolérant, sinon, se faire violence pour accepter l’inacceptable ?
Tel un organisme qui tolérerait plus au moins bien un médicament, la tolérance nous oblige à accepter malgré nous. Rien ici d’intellectuel, de profond, de cérébral, bien au contraire, tout est épidermique, apparence, aphasie, absence de réaction, absence de mouvement, absence d’une quelconque manifestation d’hostilité, absence du moindre haussement de sourcil face à ce qui pourtant nous révolte dans notre fort intérieur. Comme si l’enjeu était de faire semblant d’accepter, sans en avoir la conviction.
Et c’est là le mouvement pernicieux de la tolérance qui impose à l’individu le silence de ses sentiments comme une fin en soi, qui l’oblige à se surveiller, jusqu’à culpabiliser : « Se pourrait-il que je sois intolérant ? ». La tolérance loupe son objectif et se suffit de la situation pacifique qu’elle crée.
Peut-on pourtant imaginer que ce qui bouillonne à l’intérieur de chacun et qui ne trouve pas à s’exprimer, résiste bien longtemps à la pression imposée ? Blaise Pascal dans ses Pensées nous enseigne : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’Ange fait la bête ». La tolérance est une chape de plomb que l’on s’impose et qui ne demande qu’à exploser.
Mais la tolérance est aussi insultante pour la personne tolérée. Qu’on ne s’y trompe pas, être toléré, ce n’est pas être compris. C’est au mieux bénéficier d’un sursis. Le propriétaire tolère le squatteur, oui mais jusqu’à quand ?
Par ailleurs, ce n’est pas non plus être admis qu’être toléré. Le « toléré » et le « tolérant » sont d’autant moins enclins à se parler que le langage les a de fait déjà séparés en leur attribuant chacun un territoire bien à lui et qu’il ne doit pas dépasser : celui qui agit et celui qui subit. Cette barrière invisible et strictement terminologique se répercute physiquement dans la réalité. L’israélien tolère à sa frontière le palestinien et réciproquement. Le lion mâle tolère la présence d’un autre lion mâle à sa périphérie. Plus tard, l’espace physique du territoire deviendra l’espace symbolique de la communauté. Les irlandais chrétiens d’Irlande du nord tolèrent les irlandais protestants d’Irlande du Sud. Les communautés religieuses, ethniques et sexuelles peuvent vivre en paix dans une même ville, dans un même pays, indépendamment des sentiments qu’elles entretiennent l’une envers l’autre.
Une maison du respect, des maisons de la tolérance.
Mon sentiment est que le mouvement associatif LGBT a usé à sa naissance du concept de tolérance comme un pallier vers plus de respect pour entamer sa longue marche vers l’obtention de plus de droits.
La tolérance était un pallier acceptable et diffusait en substance ce message : « à défaut de nous comprendre, laissez-nous vivre ! » « Dépénalisez l’homosexualité ! » « Punissez ceux qui nous bastonnent ! Ceux qui nous injurient ! » Elle constituait un raccourci agréable pour obtenir des droits nouveaux tout en évitant le long travail de pédagogie vers les masses. Autrement dit la tolérance se suffisait pour passer du statut d’ « inexistant » au statut d’ « acceptable », de « tolérable ».
Mais aujourd’hui, et à quelques exceptions qui m’apparaissent marginales, les nouveaux droits qu’il nous reste à acquérir ne pourront pas l’être sous le couvert de la tolérance. Ils doivent s’imposer sur le mode du respect.
A l’inverse de la tolérance, le respect nécessite plus de temps et plus d’intelligence. Respecter nécessite de considérer l’autre dans sa différence, de créer des ponts, un territoire commun, là où la tolérance en voyait au moins deux différents.
J’imagine une conséquence logique pour le mouvement associatif LGBT. C’est la nécessité de trouver des modes d’expression qui invitent au partage plus qu’à la scission. D’exiger de notre communauté qui a si longtemps travaillé et joué de ses différences, qu’elle se souvienne des points communs qu’elle a avec le reste de la société : nous avons en commun de vouloir être des époux (ses) aimant(e)s, nous avons en commun de vouloir être des papas et mamans épanoui(e)s et nous avons en commun de vouloir être des citoyen(nes) engagé(e)s aux transformations de la société dans laquelle nous vivons. C’est cela qu’autorise le respect, et que ne permet pas la tolérance.
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Notes :
[1] « Enfants de baby boomers, génération sacrifiée ? », Le Monde
[2] Article 4 du Texte de loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Source
[3] Au lendemain du 1er tour de la présidentielle qui voit Jean-Marie Le Pen accéder au 2nd tour, Damien Saez écrit, compose et enregistre la chanson « Fils de France » disponible sur son site Internet.
[4] Appels à la Tolérance de SOS Racisme (2000)
[5] Cf. Statuts de SOS HOMOPHOBIE – Article 2.
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