La Galaxie de WILLIAM TURNER


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Les expositions du Grand Palais à Paris donnent toujours à découvrir des moments forts et exceptionnels dans le domaine de la peinture et de l'art. Ce n'est pas le cas de toutes les expositions, loin de là. Saluons les hommes et les femmes qui les réalisent avec passion et un sens didactique éprouvé.

De Turner, 1775-1851, j'avais retenu sans doute l'essentiel : les aquarelles nimbées d'un halo de pâle lumière et les tableaux de la maturité où explosent les couleurs et les formes. Mélange de mouvements, de décomposition d'une clarté laiteuse où viennent crépiter toute une palette de couleurs chaudes, c'est par exemple :

-Mer déchaînée avec épave en feu, 1835-1840

-L’incendie de la Chambre des Lords et des Communes…, 1835

-Pluie, vapeur et vitesse…, 1844

-Tempête de neige…., 1842

-Venise, le grand canal…, 1840

Ce style fait de lui sans nul doute le grand prédécesseur des impressionnistes et je dirai aussi des peintres modernes et abstraits qui ont su, de quelques formes vaguement géométriques, rappeller une barque, une locomotive, un paysage.

Turner est à l'aise avec l'impalpable, le nébuleux, l'insondable et diffuse lumière qui telle une brume ou une gaze envahit sa toile. L'espace du ciel et de la mer lui sont donc ses domaines les plus précieux et les plus utilisés dans ses tableaux, tout comme les manifestations naturelles ou catastrophiques qui lui ont permis d'explorer à fond cette folie des formes sans forme et des effets quasi magiques qui éclairent ses oeuvres.

En voulant peindre le "sublime" il a atteint ce soleil mythique à son déclin, quand la lumière devient sans violence et couvre tout en appelant déjà l'ombre et la nuit. Il a ainsi emprunté le même chemin que son idole Claude Gellée dit Le Lorrain.


Cependant, les premières oeuvres qu'il exécute dans les pas de ses maîtres sont intéressantes mais encore "gauches" car son style ne s'y retrouve pas encore pleinement selon moi. Ainsi, dans l'exposition au Grand Palais les comparaisons entres les "toiles" du Lorrain, de Poussin, de Canaletto et bien d'autres tournent plutôt à l'avantage de ses augustes prédécesseurs face aux "imitiations" peintes par Turner.

On voit cependant se distinguer, au fur et à mesure de l'évolution de son oeuvre, sa "patte" si particulière qui estompe les contours, illumine doucement les paysages et déconstruit ce monde visible pour aller vers un espace hors du temps : âme intemporelle et insaisissable ou sentiment d'ineffable éternité.

-Le Téméraire…, 1838-1839

-L’ange debout dans le soleil, 1835-1840

-Château de Norham, 1845

Ce qui m'a frappé aussi c'est la quasi absence de portraits dans sa production et, hormis quelques autoportraits éxécutés dans sa jeunesse, la plupart des tableaux montrant un ou des personnages sont traités de telle façon qu'on ne voit jamais clairement leur visage : profils fuyants, têtes ressemblant à des figurines de porcelaine caractérisées par quelques traits, ovales vides sans regard ni bouche rappelant ce que plus tard Gustave Moreau réalisera dans ses tableaux.

Un des rares portraits peint à la façon des maîtres anciens hollandais est celui d’une jeune femme à la fenêtre. Il s’agit d’une femme sans beauté dont le visage est plat et sans vie, les yeux presque effarés et dysymétriques, le tout donnant l’impression d’une femme frappé de stupidité. L’image de la folie de sa mère se serait-elle glissée dans ce tableau ? De façon cocasse je l’ai baptisée « la sole-limande », préfigurant peut-être les personnages inter-espèces de la peinture du XX°s. dont ceux de Picasso. Curieusement je n’ai trouvé aucune reproduction sur le net de ce portrait.

Dans un autre tableau également, Turner se joue ouvertement de nous en masquant délibérément le visage des deux protagonistes : Vénus et Adonis ! En effet, il peint Vénus de face allongée mais positionne Adonis de dos juste devant son visage, de sorte qu’on ne voit que le corps offert de Vénus et les fesses de son amant !

Il est bien dommage que le puritain John Ruskin se soit permis, après la mort de Turner en préparant le catalogue de ses œuvres, de brûler des études et des peintures que Turner avait produites lorsqu’il fréquentait les « filles à matelots ». Nous aurions pu avoir une autre approche du corps et des visages, mais nous sommes obligés de nous contenter d’une nébuleuse de souffrance et de chairs mortes : "La mort sur un cheval blème", 1825-1830. C’est en quelque sorte une nouvelle constellation de la tête du cheval illustrant le monde imaginaire de Turner : tempête, incendie, vent, brume, soleil, explosion, avalanche, déluge !



 
Notes


Tate galerie à Londres : http://www.tate.org.uk/

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