"Montezuma" Opéra de Vivaldi


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L’exotisme a parfois relayé le goût de l’antique, notamment à l’opéra, les lieues ayant en quelque sorte pris la place des siècles. Ainsi, le très fécond Vivaldi dont l’œuvre fleuve couvre d’immenses domaines comme des sonates, des concertos, des opéras, des cantates, sans parler des œuvres perdues, a repris l’histoire du roi aztèque «Montezuma» pour produire une œuvre d’une grande richesse mélodique.

Cet opéra a été retrouvé en 2002 dans les archives de la bibliothèque musicale Singakademie de Berlin par le musicologue Steffen Voss. L’histoire de cette partition est déjà hors norme en soi et rappelle le problème des œuvres d’art détruites, perdues, ou égarées suite à des guerres.

En effet, en 1943 en Allemagne, Goebbels fait sortir de Berlin plusieurs centaines de collections d’œuvres d’art pour des abris lointains et secrets dont des milliers de documents de la Singakademie qui partiront eux vers le château d’Ullersdorf en Silésie. A la fin de la guerre l’Union Soviétique s’appropriera ces œuvres et les transférera à Kiev ; il faudra attendre la fin des années 1990 suite à la redécouverte de l’existence de ces archives pour que ces précieuses pièces retrouvent non sans problème le chemin de Berlin en 2001!
Vivaldi

Quelque part les œuvres de Vivaldi «retrouvées» rejoignent aussi la «redécouverte» du compositeur lui-même qui tomba dans un oubli aussi surprenant qu’inexcusable pendant presque deux siècles ! Cette incroyable «résurrection» s’opéra au début du XX°s et s’intensifia dans les années trente avec la découverte des manuscrits de Turin (450 œuvres de Vivaldi dont notamment 296 concertos, 60 oeuvres de musique sacrée, 15 psaumes, 3 sérénades, une douzaine de motets profanes, une trentaine de cantates et une vingtaine d'opéras).

Vivaldi génie de la musique baroque a eu ainsi deux vies : celle honorable d’un prêtre vénitien qui a consacré sa vie à la musique plus qu’à Dieu et qui fut reconnu et aimé de son vivant, bien que la bonne fortune l’ait plutôt oublié à la fin de sa vie à Vienne, et deux siècles après celle d’un compositeur baroque réinventé, dont le nom évoque un moment de délicatesse, de rythmes solaires et d’épanouissement, devenu un des meilleurs «vendeurs» de musique classique comme le succès continu des «Quatre saisons» le confirme!

La partition de Montezuma, qui n’est pas parvenue complète, a été finalisée par Alan Curtis et Alessandro Ciccolini qui se sont inspirés, dans ce travail méticuleux de réparation de la trame musicale, des airs d’autres opéras de Vivaldi comme Farnace et Tito Manlio par exemple.

275 ans après sa création, l’œuvre est sortie en 2008 des limbes de l’Histoire et a été interprétée sur la scène du théâtre communal de Ferrare. Cet opéra ainsi capté sort aujourd’hui en DVD chez Dynamic.

On pourrait imaginer que le XVIII°s ne s’intéressait qu’aux intrigues galantes, pour certaines de ses productions théâtrales, il n’en est rien et ce siècle dit des «Lumières» offre en tout domaine une richesse exceptionnelle. Je rappelle que la vie du dernier grand roi des aztèques Montezuma ou Moctezuma, avant et pendant l’invasion espagnole, n’est connue que par différents récits et témoignages qui ne concordent guère, il a été tué soit par les siens soit par les espagnols, mais il semble avoir été un roi bâtisseur et réformateur qui a fait atteindre son apogée à la civilisation aztèque et en même temps son «chant du cygne»!

Les deux derniers roitelets, frère et neveu de Montezuma, furent tués l’un par la variole, «cadeau» des conquistadors et qui participa également à ravager les peuples amérindiens, et le dernier par les espagnols eux-mêmes qui le pendirent et mirent ainsi fin à l’empire aztèque.

Les fils de Montezuma furent tués par les aztèques eux-mêmes, il ne resta que la fille de Montezuma qui fut mariée à différents conquistadors et qui reçut le nom d’Isabel. Un des petits fils du roi aztèque se maria en Espagne avec une jeune femme de la noblesse. La lignée des Moctezuma continua en Espagne jusqu’à nos jours.

L’opéra, sur un livret du poète Alvise Giusti, donne une version très romancée de l’invasion espagnole mais souligne selon l’avant propos de Mariateresa Dellaborra « (…) la soif de conquête et de gloire de Fernando Cortés en opposition à l’amour de Montezuma pour son peuple (…)».

Reste une sorte d’happy-end où après des passages cornéliens, la fille de Montezuma, Teutile, peut convoler avec l’espagnol Ramiro frère de Cortés, signalant au passage que l’avenir de l’Amérique latine offrira par la suite, malgré les massacres et exactions envers les peuples amérindiens, «l’exemple unique d’une société coloniale métissée» (Wikipédia –Empire Espagnol).

Ici nous n’assistons pas à la chute de l’empire aztèque et à la mort de Montezuma, mais le spectateur n’est pas dupe et n’est pas sensé ignorer la suite des événements historiques. Dans tout le XVIII°s les philosophes n’ont eu de cesse de dénoncer l’esclavage, les ravages de la religion, de l’inquisition imposant la dictature de la foi, les guerres aussi absurdes qu’inutiles et en quelque sorte la cupidité des hommes qui mettent le profit personnel avant le bien de tous. La conquête des Amériques concentre tout cela, elle fut une machine monstrueuse où la soif de l’or, le fanatisme et la cruauté des hommes ont écrasé impitoyablement et effacé en majeure partie les civilisations de ce continent; on est en effet passé sur une durée d’un siècle (XVI°s-XVII°s) à une estimation d’environ 100/80 millions d’amérindiens pour tomber à 10/12 millions d’individus, très largement plus que le nombre total des victimes de la seconde guerre mondiale!

Il n’y a pas eu que Vivaldi au XVIII°s qui se soit inspiré de l’histoire de Montezuma, on découvre d’autres compositeurs qui s’y essayèrent également, mais dont les noms restent inconnus du grand public, et y compris de nos jours avec des compositeurs contemporains.

Reste que l’opéra de Vivaldi par la grâce de sa musique, l’élégance ineffable de ses airs, et sa force dramatique, procure une grande émotion et un vrai plaisir. De plus le compositeur n’a pas non plus emprunté du «matériel musical», comme cela se faisait couramment à l’époque, à d’autres de ses propres opéras plus anciens mais a fait preuve d’originalité et d’une grande maîtrise d’inspiration dans cette œuvre.

Montezuma est un opéra riche de part la qualité musicale qu’il déploie et les multiples rebondissements de sa redécouverte et de son passé, il met aussi à contribution des passionnés de l’art qui forcent l’admiration dans leur travail de restitution d’une œuvre d’art, de plus il renvoie à une histoire tragique et palpitante, tenant du rêve et du cauchemar : l’invention de l’Amérique et le naufrage de ses civilisations.



Alan Curtis
Oeuvre citée dans ce billet
 

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