Utopie


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photo JL Garac

 

Combien de fois depuis une quinzaine d’années ai-je pu m’emporter contre ce monde imbécile, voué à l’image obsédante et à la dictature des clichés, qui a réduit l’espace des rencontres possibles entre individus à une peau de chagrin chaque jour plus racornie? Parallèlement, pour le secteur qui me concerne, je constate amèrement que l’homophobie est ressortie de sa cage où les diverses avancées des années soixante, soixante-dix et début des années quatre-vingt, au niveau culturel, sociétal, et politique, avaient pu la contenir, au moins dans certaines couches de la société. Tant de pays sont allés plus vite et plus loin que nous sur toutes les questions liées à l’homosexualité…


Je subodore également que les sociétés les plus «libérées» sont celles où le milieu gay est déjà plus «ouvert» aux gays eux-mêmes! C’est-à-dire qu’on n’y rejoue pas de façon transposée les mêmes caricatures et les mêmes rejets que l’on y rencontre au quotidien. Car les gays entre eux sont leurs pires ennemis.

L’autre attrape-nigaud, aidé également par une crise économique endémique qui rend quasiment obligatoires les restrictions budgétaires personnelles, donc qui réduit les sorties, c’est l’illusion d’Internet! La grande machine du Roi Ubu, qui sert à décerveler, a fini par exister : anti-convivialité, autisme, agressivité, égocentrisme, monde figé dont les critères de sélection sont autant de motifs d’exclusions rédhibitoires, images en forme de steak pour du consommable sans contenu, entendez sans pensée ni conscience, ont fini de plomber notre petit espace commun.

photos JL Garac


Comment peut-on avec un pareil outil, formidable et révolutionnaire, si on regarde les centaines de siècles derrière nous qui ne permettaient pas d’accéder à un tel volume de savoirs, d’expériences, de créations et de possibilités, arriver à une telle misère et un tel misérable emploi? C’est donner de la confiture ou des perles aux cochons que de laisser s’anéantir dans les sables mouvants de la bêtise humaine, ce qui aurait pu nous sauver et nous promettre des perspectives et des rencontres qu’on n’invoque même plus!

Dans l’idéal, j’imagine cet «outil» du web qui n’existe pas encore, le sexe n’y serait pas absent mais ne serait pas non plus le seul moteur de l’ensemble, on y viendrait tel que l’on est et non plus tels des clones qui se sentent obligés de se copier et de se dupliquer à l’infini, on pourrait y apprendre à écouter, à se présenter, à parler de soi sans «écran» ni artifices, on y bannirait la médisance et la médiocrité car beaucoup trop oublient que le mépris de l’autre ne révèle que le mépris de soi, on pourrait s’y instruire, s’y frotter aux expériences des uns et des autres, partager des chemins communs, découvrir des chemins de vie qu’on ne soupçonnait pas, l’argent n’y aurait pas de place! On pourrait aussi s’y retrouver par activités ou points d’intérêt sans que cela soit une obligation.

photo JL Garac


Comme «Aimer» est devenu un verbe qui semble ne se conjuguer qu’avec l’auxiliaire du corps et des fantasmes, on pourrait y suggérer des cures de désintoxication: comment aimer en délaissant les multiples œillères (critères physiques, d’âge, de race, de milieu etc.) qui nous empêchent de voir les hommes, tous les hommes de ce monde…Comment créer aussi, car il n’y a pas d’amour sans création, et le sentiment en est l’aiguillon principal qui permet de se décupler en force et en perspectives!


Depuis quelques années, je constate aussi autour de moi une accélération alarmante concernant l’utilisation de produits dopants et autres produits censés décupler les prouesses liées à la sexualité. En fait c’est à une accélération de la dépersonnalisation que l’on assiste avec l’utilisation de plus en plus répandue des «chems», des «slams» et des autres saletés qui corrompent le jugement, et donnent l’illusion d’être ce que l’on est pas…Point de tendresse ici ni de sentiment, une sorte de chaine d’usine de la «baise» où il faut toujours en faire plus…Une autre forme d’aliénation en quelque sorte.

Photos JL Garac

Nous avons sans doute le défaut général d’attendre l’impossible et de demander toujours à l’autre «une part de rêve» qui finira dans les limbes de notre solitude par devenir la part immense de notre cauchemar! Ce n’est pas l’autre qui doit nous amener le rêve, c’est nous. Ce n’est pas l’autre qui doit nous séduire, et n’être qu’un jeu de miroir stérile, c’est la rencontre intégrale de deux personnes humaines. Toutes nos démarches sont en général faussées par le sens qu’on leur donne et le questionnement et l’attente qu’elles impliquent.

Or tout vient de nous, le Bien comme le Mal, le sourire comme le mépris, l’ouverture comme la fermeture. C’est d’abord ce travail qu’il faut faire, en pensant comme Descartes jadis, qu’il faut faire table rase de nos habitudes et de nos fonctionnements propres.

Toute notre vie nous subissons l’obsession de l’image que l’on veut donner de nous et que les modes nous instillent chaque jour: paraître, s’habiller, posséder, se comporter, et in fine s’empêcher de réfléchir par nous-mêmes vu tous les filtres que l’on s’impose… Il faut se révolter contre soi, dire Non, ou s’Indigner si l’on préfère! On pensera à Camus et à Stéphane Hessel; mais déjà il faudrait remettre à plat tout ce processus mental pour se le réapproprier et devenir un individu unique, et non plus la énième réplique d’une sorte de consommateur sans consistance.

sculpture d'Antinoüs

L'absence de savoir vivre, de l'idée même de l'autre, c'est à dire de l'autre comme un être doué de sentiments, de ressentis, d'une histoire propre est un constat amer. Ce passage dans l'ombre de tout un pan de l'humanité, pour ne pas dire de sa totalité, est notre propre passage dans le néant! Si je ne me reconnais pas dans l'autre, je ne suis pas non plus moi-même et je ne suis qu'une petite partie d'un puzzle qui ne sera jamais complet... À jamais un miroir éclaté, à jamais une mosaïque en partie détruite, à jamais un ciel morcelé... La vie que nous construisons aujourd'hui est nocive, elle ostracise à travers le quotidien du net, des réseaux dits sociaux, des applications de rencontres et autres; elle cristallise à outrance, elle jette toutes les Bovary modernes que nous sommes dans l'erreur et le dégoût, elle offre un portrait à l'inverse de Dorian Gray, c'est-à-dire qui ne vieillit jamais mais qui tout autant que l'autre porte la mort et le malheur!

Le monde gay a avancé parce qu'il a su donner l'image d'une cohérence et d'une unité. Or ceci a volé en éclat depuis...Cependant rien n'est jamais gagné dans aucun domaine, si les temps changent à nouveau que deviendront notre présent et notre avenir? On peut aussi regretter le côté subversif qui révélait un envers de la société, sulfureux et révolté, et qui était porteur d'une création astucieuse. Or ceci est en passe de disparaître dans les abysses du tous pareils et de l'assimilation-disparition, même entre-eux les gays ne veulent plus se connaître sauf dans la cellule étroite d'un miroir menteur et dans les clans qu'ils se construisent.



Les défis de ce monde, relèvent également d’une salutaire prise de conscience, il en va de la santé de la planète comme de nous-mêmes! Le travail à réaliser a deux hélices, comme une chaîne d’ADN, il y a tout le monde extérieur à réformer: comment produire en respectant la diversité offerte par la Nature, comment préserver la planète et arrêter de jouer aux tiques qui se gorgent du sang de leur victime, comment réaliser des produits écoresponsables et stopper toutes les dégradations qui finiront par rendre les sous-sols en farine, la mer en dépotoir, les aliments en mini usine chimico-génétiquement-modifiée, et les plantes et les animaux qui survivront en otages radioactifs et empoisonnés. Et il y a «nous» aussi au centre de cet univers concentrant les problèmes, et concentrationnaire pour tous, car la machine pensante au départ c’est bien «nous» ou plutôt cela a été «nous», jusqu’au moment où cette machine globale s’est emballée et que la non réflexion, la lâcheté aidées par la soif du lucre et de la facilité nous a tout occulté de nous-mêmes!




Note :

Parmi les milliers de livres qu'on pourrait citer, dont de nombreux philosophes d'hier et d'aujourd'hui, je me rappelle d'un livre intéressant qu'un ami m'avait conseillé : "Le zen et l'art de tomber amoureux" de Brenda Shoshanna.

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