L’air de Paris en avril : Redon, Manet, projets, tag, gay, mendicité …


(0) commentaires


Jardins du Louvre, JLG

Un court WE dans la capitale, m’a replongé dans « l’air de Paris », celui que j’aime tant mais qui devient si difficile à retrouver d’un voyage à l’autre ! En fait je remarque de plus en plus que le plaisir du retour est bien supérieur à celui du départ. Peut-être que je ne recherche actuellement qu’une harmonie et une paix loin d’une vaine agitation et d’un désir qui, sous l’épine du manque et de l’attente, se transforme en grimace, en peine et en lassitude.

REDON - 1840 - 1916

Au Grand Palais jusqu’au 20 juin 2011

Les mini lithographies et gravures d’Odilon Redon donnent le bourdon ! C’est en effet un monde étrange, curieux, inclassable, un peu comme les images de la faune marine des grands fonds. On en retire une impression de malaise, de folie, d’obscurité angoissante, de monde parallèle à la Jérôme Bosch, déjà lui-même surréaliste avant l’heure comme Redon !

Je vous avoue que ces petits tableaux, si remplis de noirceur, lassent un peu et donnent envie de quitter rapidement ces salles d’exposition pour le soleil extérieur. On serait tenté de se dire qu’est ce que je suis venu faire ici, comme si l’angoisse quotidienne et contemporaine ne suffisait pas et qu’il fallait en rajouter une couche supplémentaire, fut-elle culturelle ! Heureusement, on accède aux salles où sont exposés les grands tableaux en couleurs : on passe ainsi du petit format au grand, du noir et blanc à la variété des tons de pastels et des peintures à l’huile ! On découvre alors d'étonnants tableaux empreints de japonisme ; Redon confiait : « J’ai épousé la couleur », il aurait pu ajouter : « J’ai épousé l’Orient aussi »…

Odilon Redon

Dans la seconde partie de ses créations, autour de la cinquantaine (1890), la couleur envahit son œuvre et se répand comme une liqueur de rêve. Il est le parent de Gustave Moreau et de Klimt. Nous sommes aussi dans les années où le goût des estampes japonaises se répand de plus en plus en Europe et fascine un grand nombre d’artistes. La délicatesse de l'art de l’orient avait déjà envahi l’Europe via les porcelaines chinoises que Marco Polo a fait découvrir à notre continent; l'art japonais, avec les estampes d'Hokusaï, Hiroshige, et Utamaro, qui se diffusent à partir de la seconde moitié du XIX°s., va exercer une emprise profonde sur la peinture française et européenne et cela durera très longtemps.

Estampe d'Hokusaï
Ces estampes se sont répandues à l'occasion de l'ouverture du Japon au monde et au monde moderne (restauration Meiji); en effet ce pays s'était refermé sur lui-même durant deux siècles (1639-1854), une longue parenthèse qui se clôt avec l’intervention militaire américaine de 1854 qui permet d’ouvrir par la force les relations commerciales, l’ère Meiji va alors métamorphoser le Japon.

Odilon Redon, Bouddha
Trouvant un écho séduisant à sa vision initiale d'un monde de symboles et de rêves, Odilon Redon va "japoniser" à merveille : délicatesse et travail minutieux de la flore, variations de couleurs, fonds somptueux, harmonie des formes et de leurs nuances, finesse des personnages, lumière poudrée d’or, tout va concourir à créer une œuvre fortement imprégnée et fertilisée par ce souffle d’orient.

Je note également que les mélanges de teintes qui infusent dans ces toiles rappellent les fonds à la Gauguin : tons irréels, absence de perspective, superpositions des coloris qui deviennent le paysage de fond ! Tout cela participe à une audacieuse création chromatique qui produit une légèreté et une lumière de pierre précieuse dans les tableaux d'Odilon Redon ; le plus bel exemple en est selon moi son "Bouddha".

MANET – 1832 – 1883

Au musée d’Orsay jusqu’au 3 juillet 2011

E Manet
C’est une belle et foisonnante exposition qui mélange aussi d’autres tableaux de peintres contemporains dont Berthe Morisot (1841-1895). L’œuvre dénommée « L’été » est un extraordinaire portrait d’une jeune fille d’allure très moderne, qui accroche la lumière dans ses tons acidulés. J’attends d’ailleurs avec impatience une véritable exposition de grande envergure pour rendre hommage à cette femme peintre et à toutes celles (voir mon article : A la recherche des impressions perdues ) qui ont ouvert le monde de la peinture à une sensibilité si proche de la poésie et du bonheur du moment présent.

Berthe Morisot, L'été
Manet a souvent un coup de pinceau qui me semble rapide et nerveux, dans certaines toiles il me rappelle Toulouse Lautrec (1864-1901) qui viendra par la suite donner de si saisissants portraits. Il a été, avec Gauguin, un des peintres qui au XIX°s a beaucoup voyagé. Il a ainsi parcouru l’Europe et l’Amérique du Sud (Brésil) ramenant des impressions colorées et un certain goût pour l’exotisme. Il faut aussi le rapprocher de Vélasquez, et le musée d’Orsay avait déjà, il y a quelques années, réalisé une très belle exposition sur ce thème. La peinture espagnole avec Murillo, Ribeira, Zurbaran et Goya a notamment eu une grande influence sur la peinture française du début du XIX°s.

Les plus grands peintres offrent toujours de multiples aspects : ils étonnent, surprennent, séduisent, inquiètent. Manet de même à travers les innombrables portraits qui dépeignent des personnages si différents et des sentiments allant de l’insouciance à l’introspection, de l’attente au renoncement, de la fragilité à l’assurance.


E manet, La lecture
Je me suis plus particulièrement arrêté sur un tableau intitulé « La lecture ». Le tableau baigne dans une atmosphère lumineuse, deux personnages s’y retrouvent : une femme assise de face sur le canapé, qui semble regarder le spectateur, et un jeune homme de profil lisant un livre à l’arrière plan. Aucun des deux ne communique et chacun reste dans son "monde"...

Voilage transparent blanc, tissu du canapé blanc, robe blanche, et aux deux extrémités (angle bas gauche et angle haut droit) des zones sombres avec une plante verte ornementale et le personnage du lecteur qui se détache sur un mur foncé.

La fenêtre, le canapé, la plante, les personnages perdus dans leurs pensées, associés mais absents, presque détachés et ailleurs, voici des ingrédients qui me rappellent fortement l’univers d’un peintre contemporain Lucian Freud (1922) ! Certes ce dernier met à nu ses modèles, mais à part ce détail, ce moment d’intimité et d’abandon créé par Manet renvoie à ce même sentiment d’interrogation et de recherche de soi, presque un jeu de miroir dans lequel nous sommes appelés et absorbés aussi.

PARIS


Les projets


Le carreau du temple, JLG
Tout près de mon hôtel, dans les anciennes halles du III°, le Carreau du Temple, de grands travaux ont commencé : on garde la structure ancienne et typique des halles conçues au XIX°s. faite de courbes de métal et de formes élégantes et légères pour proposer un nouvel espace qui mêlera salle de spectacles et autres activités. Ce quartier, pris entre République et le haut du Marais, m’a toujours plu pour sa tranquillité et son petit "air de Paris", de l’éternel Paris, qui y subsiste encore.



Paris se transforme sans cesse ! Un nouveau projet d’envergure va également transformer son cœur dans le quartier des Halles. "La canopée" (par les architectes Jacques Anziutti et Patrick Berger), est le nom de cette structure qui me fait penser à une feuille de nénuphar émergeant de l’eau. La forme semble fluide et aérienne, elle s'ouvrira sur un espace de verdure jusqu’aux pieds de la rotonde voisine. Malheureusement, il faudra attendre jusqu’en 2016 pour respirer sous cette feuille d'architecture et pour que l’espace des halles prenne son nouvel élan végétal et limpide… Un nouvel air de Paris, en devenir !


Les halles en travaux, JLG

Regarde le paradis !

Dans ce monde de brutes, d’adorables « anges » ont taggé sur la chaussée au niveau de certains passages piétons « Regarde le ciel ». Une façon astucieuse de vous faire potentiellement écraser par une auto, une moto, ou une camionnette et de laisser vos soucis sur terre !, Un peu distrait, curieux de nature, en quête d’un peu d’élévation et hop, le paradis est à vous !




Le jeu des 7 familles
Odilon Redon, monstre...

Le monde gay parisien est en perte de vitesse, le brin de folie, la complicité, l’amusement, la rencontre y sont de plus en plus rares. On y joue en rond le jeu des 7 familles imperméables : Minets, Bears, Tatoués, Musclés, Hards, Skins, Dévoyés ! Mais il est difficile de demander un « joker » et de faire une recherche transversale, tout y est cloisonné comme dans le régime des castes.

Tout y est construit aussi de gestes et de postures automatiques, c’est « Les temps modernes » du sexe où chacun joue à répétition de sa clef, mêlant arrogance et besoin irrépressible de continuer dans la recherche de son fantasme au point d’en devenir autiste. Dans ces endroits, où l’on perd toute espérance, j’ai croisé avec amusement ou ironie des créatures identiques à celles de l’imaginaire d’Odilon Redon : œil, râtelier, cyclope, ombre chevelue, insecte humain…Un air bien vicié…

La misère


Grands boulevards, JLG
A chaque coin de rue ou peu s'en faut, j'ai croisé des mendiants, vu des clochards, côtoyé des personnes âgées à la limite de la clochardisation, vu un nombre impressionnant tout âge confondu de personnes à la recherche d'un petit quelque chose à manger. Après presque 20 ans d’une politique sans philosophie ni projet, autre que celui de l’argent facile pour une minorité de nantis et de maîtres économiques, dont nous sommes devenus les esclaves sans chaînes, Paris, symbole de la France, laisse voir partout dans ses rues, ses boulevards, son métro, ses transports, ses places, la plus lamentable des constatations : misère, dénuement, faim, malpropreté, maladie, mendicité.

Les aveugles, tenant du « je vous entube plus », ne verront rien de nouveau ou rien de dérangeant à cela. Pour d’autres, dont je fais partie, c’est chaque fois un degré supplémentaire dans l’inacceptable qui conduit à cette impasse et à cette détresse : démantèlement des services publics, de l'emploi, des outils de travail, manigances et magouilles, loi du plus fort, absence de justice et d’égalité, paupérisation lente, sournoise et générale… Un air de Paris et de France irrespirable...
Jardin de Paris, JLG
 
article de Libération sur le projet des Halles








































0 commentaires:

Enregistrer un commentaire